Belle exposition au Jeu de Paume (21 février-29 avril 2012) qui montre la diversité de l’oeuvre de Berenice Abbott (1898-1991) depuis le portrait dans les milieux littéraire et artistique des années 20 (James Joyce, Djuna Barnes, Jean Cocteau, André Gide, Foujita, Marie Laurencin …), jusqu’aux photos de New York dix ans plus tard, qui seront suivies par des expériences de photographie scientifique, après-guerre, pour le MIT.
On lui doit de nombreux clichés du Paris homosexuel des années 20, dont elle était une figure, et notamment la célèbre photographie de la princesse Eugène Murat, fort virile, que le catalogue met en regard de la très féminine Djuna Barnes – aspect que le catalogue n’aborde pas, peut-être de peur de tomber dans l’anecdotique.
L’exposition permet de mesurer à quel point Berenice Abbott, née à Springfield dans l’Ohio, petite expatriée sans diplôme dans le Paris de 1920, a joué un rôle dans la photographie du premier vingtième siècle et oeuvré à sa reconnaissance comme art véritable, autonome de la peinture. Assistante de Man Ray, elle connait Kertész et collectionne Eugène Atget qu’elle essayera de faire connaitre aux Etats-Unis. De retour dans son pays, elle est parmi les photographes qui suivent visuellement une Amérique en pleine crise économique, grâce aux commandes que leur passent les agences fédérales. Il y aurait matière à film avec cette vie qui couvre presque tout le siècle, et effectivement on recense au moins deux films à son sujet, notamment un documentaire de 1994.
En aucun cas, elle ne peut être définie comme la petite assistante de Man Ray, avec lequel elle apprend la photographie, qui se trouverait avoir connu du beau monde. Ses portaits des années 20 sont remarquables par leur finesse psychologique, leur élégance stylisée, parfois rehaussées par une discrète touche surréaliste (Jean Cocteau 1927).
Sa période new yorkaise montre la ville moderne, avec ses grattes-ciels, ses poutrelles d’acier et ses perspectives renversantes, sans pour autant en faire un « statement » à la mode de ses contemporains, russe comme Rodtchenko ou allemands. Jamais elle n’élimine la fluidité humaine et le désordre de la grande ville (Broadway, vers Battery Park, 4 mai 1938). Malgré l’appareillage métallique qui fait la ville moderne, ses tours, les angles de prises de vue, New York reste une ville désordonnée, et aux coins des rues, sous les rails du métro aérien, le petit peuple continue son existence.
Sa passion après-guerre pour la photographie scientifique étonne, de la part d’une artiste aussi intéressé par le facteur humain, dans les salons comme dans les avenues de grandes villes.
Ses travaux après 1950 sont moins convaincants, le réalisme documentaire, principe esthétique que revendiquait Berenice Abbott, ayant peut-être montré ses limites.
Très beau catalogue, à l’inverse de celui de l’exposition Helmut Newton du Grand Palais, avec des textes qui expliquent bien les différentes dimensions de sa carrière, et qui offre une solution pratique à ceux qui auront manqué l’exposition, terminée le 29 avril dernier.
Piotr Widelsky