Pourquoi le développement durable a-t-il été absent de la campagne et comment pourrait-il être utile au quinquennat qui vient ? Il a bien été question pendant cette campagne de transition et d’efficacité énergétique, de TVA anti-délocalisation, de produire français, d’un Buy European Act, de préservation de la biodiversité et de tant d’autres considérations qui mêlent dimensions sociales, économiques et environnementales…mais pourquoi les mots « développement durable » ont-ils été si absents ?
Certes, reconnaissons le flou des contours d’un concept qui a la fâcheuse tendance à viser le long terme. Et pour cause puisque le développement durable (DD) enjoint de concilier l’économique, le social et l’environnemental dans le respect des générations futures. Mais c’est sans doute plus grave que ça. En effet, au delà d’une question terminologique, c’est bien la notion de vision globale des problèmes qui a été absente.
En politique, la complexité se vend mal
La complexité des enjeux du « développement durable » n’a pas trouvé son « travailler plus pour gagner plus ». En parler, c’est à coup sûr prendre des coups et faire des déçus dans toutes les catégories de la société. C’est sans doute le seul concept capable d’hérisser les poils des pullovers des militants écolos tendance Canal historique, autant que la toison grisonnante des dirigeants du CAC 40 (99% d’hommes, au passage le développement durable c’est aussi la question de la diversité…). Associé aux grandes entreprises qui promettent à grand renfort de marketing de sauver la planète ou de lutter contre les délocalisations (vous avez sûrement remarqué la campagne d’un grand réseau de distribution ces dernières semaines), le DD paraît aux premiers une hypocrisie de plus. Pour les seconds, les exigences de long terme induites par les engagements de DD émettent de mauvais signaux aux marchés, et quand le régulateur s’en mêle ils brandissent la perte de compétitivité face à des concurrents affranchis de toutes limites.
Et le consommateur dans tout ça ? Une étude du CAS de févier 2011 indiquait que si les consommateurs français sont prêts à 79% à payer plus cher un produit responsable – indice que la consommation durable devient la norme sociale -, ils ne sont que 4% à passer l’acte … Manque d’information sur la qualité sociale et environnementale des produits, mais surtout problème de pouvoir d’achat, faute pour ces marchés d’atteindre les tailles critiques … et nous voilà donc renvoyés devant l’œuf et la poule, et cette désagréable sensation que le développement durable, c’est de la poudre aux yeux, au mieux un truc pour refiler ses produits et services plus facilement, au pire un rêve de doux utopiste pas très sérieux en pleine crise ; voire l’inverse ! Le développement durable serait donc victime à la fois de son succès et de la crise qui rendent vaine toute tentative d’en faire un thème de campagne. Et pourtant !
Le développement durable, cet invisible
Il n’y a pas, de Plougastel à New-Delhi, une seule instance ou organisation qui n’ait intégré un quelque chose de développement durable dans son ADN. L’ONU évidemment, les termes « développement durable » ont été promus rappelons-le dans le rapport Brundtland présenté à l’ONU en 1987 puis consacré par le Sommet de la Terre de Rio de 1992 qui « fêtera » ses vingt ans en juin prochain. Mais qu’il s’agisse de l’Union européenne, de l’OCDE, de l’Organisation Internationale du Travail, de la Banque Mondiale, de l’OMC, des plus grandes entreprises transnationales comme des grandes écoles et ONG, toutes ces organisations sont touchées…jusqu’au dernier plan quinquennal chinois. Preuve de son entrée dans le « mainstream », même l’ISO a publié sa norme en novembre 2010 – l’ISO 26000 – qui, aux termes d’un processus de négociation de cinq années ayant impliqué 99 Etats et 42 organisations en liaison (ONU, OMS, OIT, etc.) établit des lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale des organisations, qu’elles soient publiques, privées, à but lucratif ou non. Incroyable mais vrai, les entreprises transnationales sont logées à la même enseigne que les syndicats, les ONGs et les collectivités territoriales. En somme, seule échappe à cet ovni normatif, les Etats dans l’exercice de leur pouvoir régalien.
Le mutisme de cette campagne viendrait-il de là ? Le développement durable serait donc devenu si consensuel, de nos collectivités jusqu’à l’ONU, qu’il faille le considérer comme acquis. Ou peut-être s’agit-il de ce syndrome de repli national propre aux campagnes présidentielles, qui veut nous faire oublier que la France vit dans un monde vaste et dynamique. Cachez ce concept que je ne saurais voir, il met la France à nu ! Le développement durable est précisément cela, une dynamique. La Commission européenne a d’ailleurs publié, le 25 octobre 2011, une communication sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) qui dresse les contours d’une stratégie 2011-2014. L’Allemagne s’est dotée d’une stratégie nationale de RSE…et la France ? Qu’importe ! Rayé de la carte conceptuelle de la campagne, et tant pis si ceci s’inscrit dans un contexte de crise majeure du capitalisme qui voit de grands pays dits « développés » mis à la diète et leur économie à la recherche d’un nouveau souffle.
La crainte est grande que l’absence du développement durable dans la campagne vienne d’une méconnaissance de ses potentialités, ce qui révèlerait une paresse intellectuelle sidérante. De quelle sève sont irrigués les cerveaux autour du nouveau président ? Sont-ils en mesure d’imaginer l’avenir au-delà du quinquennat ? Quelques craintes : des projets cités comme exemplaires par certaines collectivités, s’inscrivant dans leurs agendas 21 (plan d’actions DD), sont bien souvent déjà vieux avant de voir le jour, quand ils ne sont pas tout bonnement des contre-exemples emblématiques. Le risque qu’un Etat PS reproduise les aberrations observées dans certaines collectivités, comme l’importation dans des territoires riches en granit de granit chinois pour équiper les infrastructures de transports collectifs, ne peut être exclu.
Une première illustration sera sans doute vite révélatrice. Avant de légiférer s’assurer que cela est bien nécessaire ! Donnons à la France les moyens d’appliquer pleinement les textes existant avant d’en concevoir d’autres. Les acquis du Grenelle de l’environnement (il y en a quelques uns) vont-ils être reconnus et boostés comme ils le méritent ? Des pistes ont alimenté le flot législatif qui vient de marquer le dernier quinquennat : obligation de reporting social et environnemental, Investissement Socialement Responsable, étiquetage environnemental (l’équipe qui va prendre en charge ce dossier doit prendre conscience que cette expérience française portant sur 1000 produits de grandes consommation était déjà largement surpassée dès son lancement en juillet 2011 par certaines initiatives privées, notamment aux USA qui informent déjà les consommateurs sur trois dimensions, santé, social et environnemental … sur plus de 170.000 références (Goodguide).
Quel rôle pour les autorités publiques ?
Le développement durable, c’est du contenu (concilier le social, l’économique et l’environnemental). C’est aussi et surtout de l’organisation, de l’imagination et beaucoup de pédagogie ; les écoles et universités ne l’ignorent plus. La sensibilisation est aussi à l’œuvre dans les syndicats, les ONG, les associations de consommateurs, au sein des CCI, etc. Les autorités publiques ont la responsabilité de mettre en mouvement les organisations qui tissent la société et d’optimiser tous les leviers disponibles. Généraliser ces mécanismes, garantir l’indépendance, la compétence, la légitimité des parties prenantes : c’est sur ces leviers notamment que le rôle des autorités publiques doit être pensé pour faire émerger les innovations sociétales de demain qui restent à inventer. Prenons l’achat public qui représente 10% du PIB. C’est un levier immédiatement disponible pour mobiliser les PME et PMI françaises (par l’utilisation audacieuse de l’article 5 du Code des marchés publics, qui, sous l’impulsion de l’Union européenne exige la prise en compte du développement durable dans la définition des besoins… et fait douter de l’utilité d’un Buy European Act).
Nous attendons avec impatience les premières décisions d’annulation de marchés publics accordés au mieux disant sociétaux ! C’est en effet de la responsabilité de l’Etat et des acheteurs publics de redéfinir la notion « d’offre économiquement la plus avantageuse » à l’aune des objectifs du développement durable. La gauche des régions est ici attendue au tournant. Les acheteurs publics doivent rencontrer les acteurs économiques de leur territoire. Vite et bien, afin de parfaitement maitriser leur offre de produits et services. Cette connaissance est indispensable à l’élaboration de marchés publics qui rendent objective leur plus-value sociétale et garantissent toutes leurs chances de les gagner.
La nouvelle équipe disposera, comme la précédente, de leviers fantastiques (achat public, information du consommateur, orientation de l’épargne, le contrôle et la sanction pour sécuriser les investissements, etc.). Ne pas les utiliser priverait la France du souffle indispensable pour traverser cette crise durable et prendre le virage du XXIème siècle dans les meilleures conditions. Ce serait sociétalement irresponsable à l’égard d’une jeunesse attentive et avide d’un monde dans lequel le travail a du sens.
Yann Queinnec