L’Inventaire du communisme, François Furet

François Furet, L’Inventaire du communisme, Editions EHESS

Le petit livre (92 pages) réalisé par l’historien Christophe Prochasson à partir de discussions qu’eurent ensemble François Furet et Paul Ricoeur en 1997 n’est pas une introduction au maitre livre de Furet, Le passé d’une illusion (1995). Ce serait plutôt une piqure de rappel, heureuse et bienvenue.

Les thèmes du Passé d’une illusion, repris dans cet Inventaire sur le mode de la conversation, s’éloignent de nous, de la même façon que la Guerre de 14-18 s’est éloignée. On ne se représente plus ce qu’a été l’illusion communiste, comme on ne comprend plus ce qu’ont pu être les grandes hérésies populaires, le catharisme, les vaudois, ou l’élan qui a poussé aux Croisades. Qui hors les historiens s’intéressera encore aux articles de la Partisan Review ou aux errements des Compagnons de route, dont parle Furet ?  L’histoire a rendu son jugement ; même le vocabulaire a vieilli.  Mais ce petit livre comporte, sur la période pré-soviétique, nombre de notations pertinentes, d’aperçus qui correspondent au monde qui après la parenthèse 1914-1989, se reforme peu à peu : l’importance de l’identification nationale ; le cynisme intéressé des classes dirigeantes qui instrumentalisent le sentiment national pour contrôler le choix politique des masses – d’où viendront le chauvinisme de 1914 et plus tard le fascisme, cette hystérie du nationalisme, selon la formule de Furet.

Furet insiste beaucoup sur les tensions de la démocratie libérale entre ces deux pôles que sont le nationalisme et l’universel, la « finitude » et le « dépassement » dans le langage de Ernest Nolte, auteur que discute ici Furet en écho aux lettres qu’ils ont échangées et qui ont donné un livre remarquable – tensions dont on ne peut dire qu’elles aient disparu d’Europe, surtout en ce moment, même si la construction européenne et le sentiment de l’interdépendance en atténuent la violence.  Parmi les notations marquantes, celle concernant la grande difficulté, pour nous Européens de l’Ouest, à comprendre la Russie, cette terre où à ce jour, aucune révolution libérale n’a réussi à limiter les droits de l’Etat, et que le communisme avait paradoxalement rapprochée de nous de 1917 à 1989.

L’inventaire du communisme se termine par une évocation inquiète du fait national. « Nous sommes à une époque où on voudrait dépasser le fait national, mais le problème politique aujourd’hui est encore très largement constitué autour des passions nationales », relevait Furet dans ces entretiens de 1997. Que dirait-il aujourd’hui que la passion nationale renaît en Europe à la faveur de la crise économique, d’abord dans ses formes classiques, par les nouvelles oppositions qui se font jour entre Etats européens mais aussi à l’égard des minorités non européennes, vues comme un ennemi intérieur dans de larges secteurs de l’opinion européenne.

A lire cet Inventaire du communisme, vient à l’esprit que c’est probablement moins pour la description de l’univers communiste que pour l’analyse de la démocratie bourgeoise et de ses tensions qu’on continuera de lire le Passé d’une illusion.

Stéphan Alamowitch

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