Il suffit de prendre le métro à Paris pour constater rapidement que le niveau de service (personnel au contact de la clientèle, niveau de propreté des stations, etc.) est largement perfectible. Il suffit de prendre l’avion à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle pour noter que les horaires de la Police aux Frontières ne sont pas nécessairement calés avec ceux des arrivées des gros porteurs, générant d’importants et inutiles temps d’attente pour les passagers, que la signalétique y est confuse, que les toilettes ne sont pas toujours d’une propreté exemplaire. Il suffit de se rendre dans un commissariat de police, dans un hôpital, dans une préfecture pour noter que la notion de service n’est pas première : l’on y vient pour déposer une plainte, se faire soigner, être traité administrativement, mais pas pour recevoir un service. Joli paradoxe pour le Service Public qui semble avoir oublié le sens même de son nom !
De trop rares améliorations
Des améliorations sont observables. Le bureau de Poste ne ressemble définitivement plus à la caricature que les humoristes aiment bien en faire. L’Administration des Impôts, qui contrairement à l’idée commune bénéficie d’une bonne appréciation de la part du public, a depuis longtemps ouvert ses portes pour apporter conseil et soutien. Il n’en demeure pas moins que les standards de qualité peuvent dans certaines administrations être encore très inférieurs à ceux qu’une société serait en droit d’attendre.
Et ce qui était acceptable il y a encore une vingtaine d’années devient plus difficile à intégrer, dès lors que l’usager, qui est également consommateur, a pu observer une sensible amélioration de la qualité de service dans les entreprises dont il est client. Personne n’accepte et ne comprend qu’il soit simple et rapide de changer de téléphone dans un point de vente, mais qu’il est long et sinueux d’obtenir – par exemple – un document administratif. Pourquoi ce qui est possible ici ne le serait-il dans une organisation, simplement parce qu’elle relève du Service Public ?
Des problèmes de riches ?
Si les difficultés rencontrées par l’usager dans son parcours n’étaient que des désagréments (entendez des problèmes de riches), on pourrait penser qu’il n’est sans doute pas nécessaire de vouloir améliorer les choses. Mais entrer dans cette perspective, c’est déjà accepter que le Service Public ne doit pas viser l’excellence, c’est éviter de se donner toute opportunité de progresser, de redonner de la fierté aux Personnels et du respect des usagers vis-à-vis de leur Service Public. Ce serait aussi faire le lit des secteurs de l’opinion hostile par principe au Service public, vu comme un repaire de fonctionnaires surnuméraires, inutiles et par nature opposés à toute volonté de qualité de service.
En outre, à chaque fois que le Service Public n’est pas en mesure de délivrer un service de qualité, il devient un facteur d’inégalité sociale, alors que sa première mission est précisément d’être un acteur de cohésion sociale : les usagers les mieux lotis vont trouver des voies de contournement, en faisant appel à des services (payants) palliatifs, tandis que les autres ne pourront que subir les déficiences du système. Des services – coûteux – fleurissent pour gérer les problèmes administratifs et éviter de faire la queue. La situation n’est pas très différente en matière d’éducation, où les initiés parviennent à mettre leurs enfants dans les meilleures écoles, voire paient un soutien scolaire complémentaire. Ou en matière de santé, où les coupe-files existent pour les plus fortunés.
L’enjeu est bien de rapprocher le Service Public du citoyen. La Gauche européenne a un rôle à jouer dans cette ambition, mais doit pour ce faire se départir de son héritage centralisateur bureaucratique et d’une vision selon laquelle le toujours plus serait nécessairement le toujours mieux. Comme l’écrit le collectif The Amsterdam Process dans “A Centre-Left Project for New Times. Confronting the Challenges of Electability and Governance”, « Il est impératif que les sociaux-démocrates soient plus audacieux dans la lutte contre l’inéducable dérive vers la bureaucratisation des pays riches. Les bureaucraties monolithiques mettent les électeurs en position de défiance vis-à-vis de leur Service Public, et ne permettent que rarement d’atteindre les objectifs progressistes fixés. Les institutions publiques doivent être transparentes, à l’écoute des usagers et responsables. Elles doivent également être à une échelle qui leur permet d’être proches des citoyens dans leur vie quotidienne. Avec une confiance à un niveau historiquement bas, auprès des citoyens mais aussi de l’élite dirigeante, dans la capacité de l’État à agir dans l’intérêt du public, la gauche ne peut être le héraut d’un Etat monolithique et sclérosé. Sinon, la social-démocratie sera durablement associée à l’idée de bureaucratie centralisée qui ne marche pas. »
Pour sortir de cette logique de moindre qualité de service, il est important d’en comprendre les causes organisationnelles profondes, et de se convaincre que la cause est plus une question de logique de fonctionnement que de manque de moyens (même si à moyens misérables on ne peut espérer une qualité de service exceptionnelle). Convoquer la culture bureaucratique est certainement également une erreur, car c’est confondre le symptôme de la cause profonde.
Les organisations qui sont les moins à mêmes de délivrer durablement et de façon consistante une qualité de service élevé ont une double caractéristique. Elles sont en situation de monopole ou disposent d’une position de force, qui fait qu’elles sont largement résistantes aux pressions externes (les usagers). Mais surtout elles sont placées dans une logique de fonctionnement largement endogène. Dit autrement, ce sont soit les contraintes techniques (je régule mes trains en cas de retard en fonction de la simplification des mouvements, plus qu’en minimisant le nombre de correspondances manquées par les voyageurs), soit les bénéfices des agents qui prévalent dans les choix organisationnels, et par là-même sur le service proposé (j’organise la prise des vacances de la Police aux Frontières en fonction des vœux des personnels, c’est-à-dire au moment où les besoins en personnels sont les plus élevés puisqu’ils correspondent aux départs en vacances de la majorité des Français).
Politique nouvelle pour gouvernement nouveau
Pour sortir de cette logique endogène, trois mesures clés pourraient être envisagées :
1. Définir pour chaque Service Public des indicateurs de qualité de service objectivables (temps d’attente, etc.), complétés d’enquêtes de satisfaction usagers annuelles. Ces indicateurs seraient nécessairement en lien avec les missions définies pour chacun des services publics (qui elles-mêmes seraient revues périodiquement), et ne pourraient mesurer que les actions sur lesquelles le Service Public aurait directement un impact.
Il est ainsi vain de mesurer le taux d’emploi dans une région pour apprécier la qualité de service de Pôle Emploi par exemple, dès lors que ce taux d’emploi dépend davantage du contexte économique que de la capacité à mettre en intermédiation offre et demande d’emplois. Il est par contre plus pertinent d’analyser le pourcentage de chômeurs de longue durée ayant reçu un suivi personnalisé et un plan de formation. De même, il n’est que peu éclairant de mesurer le taux de succès au baccalauréat d’un lycée, mais certainement plus pertinent d’appréhender l’écart entre le niveau des élèves entrants et des élèves sortants, pour identifier les méthodes et enseignants ayant le plus d’impact en matière d’acquisition des savoirs.
2. Rendre accessible au public via l’Internet les résultats des indicateurs de performance (et leur position au niveau national), et mettre en regard les plans d’action opérationnels mis en place pour améliorer le taux de qualité.
3. Pour chaque établissement, constituer un Comité du Service Public, constitué d’usagers volontaires non-renouvelables et d’associations d’usagers, assurant la revue des indicateurs, discutant et validant les plans de progrès.
De telles politiques de déclinaison de la démarche qualité ont été mises en place notamment en Australie, au Royaume-Uni, au Canada, selon des logiques plus ou moins centralisées et ont permis – notamment pour celles qui étaient définies en local – de créer une dynamique auprès des administrations et les orienter vers une meilleure réponse aux attentes du public.
Ces politiques de « contestabilité » en Australie, de « révision des missions » au Canada et de « revue des dépenses » au Royaume-Uni ont fortement incité les services à prendre en compte les avis et les attentes des usagers de façon à démontrer qu’ils apportent une plus-value réelle et utilisent efficacement l’argent public.
Replacer l’usager au cœur de la démarche permet ainsi de sortir du dogmatisme ou de la sclérose en se posant la seule question qui vaille : le service apporte-t-il auprès des populations visées la valeur attendue ? Et sinon, comment y remédier en termes de modes d’organisation, d’affectation des moyens, de services proposés, de compétences à développer ? Ce n’est qu’ainsi que l’on parviendra à déplacer les lignes : en mettant avant les actions – mais surtout les acteurs – qui permettent à l’Administration d’avancer dans le bon sens, et de concentrer ses efforts et ses moyens sur le seul enjeu des usagers. C’est sur cette base que peuvent être menés ensuite les plans d’action qui vont permettre à l’administration d’être plus efficace.
Les méthodes déjà étudiées par les spécialistes de sociologie administrative méritent d’être reprises par un gouvernement attentif au sens des mots et à l’amélioration du Service Public en quelque sorte contre lui-même. Il s’agirait donc :
– d’identifier les bonnes pratiques mises en place en local (mais aussi à l’international et dans le privé) qui permettent de gagner en efficacité, et en valorisant les porteurs de ces bonnes pratiques,
– de s’assurer que les recrutements et la formation des agents soient au plus près des besoins identifiés,
– de développer des organisations souples et décentralisées au plus proche des besoins là encore, et capables de s’adapter face à l’évolution de ces besoins,
– et de standardiser, rationaliser et réduire les tâches à faible à valeur ajoutée au regard des services attendus, pour concentrer les efforts sur les actions qui apportent le plus de valeur pour les usagers, et pour les usagers qui sont les plus nécessiteux – ce qui du reste rendrait nécessaire de passer d’un modèle d’égalité du Service Public à un modèle d’équité.
La tâche a déjà été entreprise dans des pays proches, qui ont compris qu’avoir un Service Public de qualité était source de compétitivité et de cohésion sociale, et ont rejeté une vision caricaturale qui a fait florès ces 20 dernières années selon laquelle un État moderne est un État dans lequel le Service Public serait réduit à peau de chagrin. Espérons du nouveau pouvoir qu’il saura se nourrir de ces expériences qui ont permis au Service Public de se réinventer, en dépassant les visions dogmatiques ou les grandes déclarations de principes qui restent lettre morte. Pour cela, il faudra dépasser la vision largement budgétaire portée par la RGPP, et se poser la question concrète – mais négligée – des modes de fonctionnement au plus près des spécificités et des contraintes métier.
Nicolas Mariotte