Militer … et finir avec une voiture de fonction

 Cher Monsieur,

la volonté exprimée par votre fils de «rejeter la société de consommation et le néolibéralisme sauvage des élites mondialisées» semble effectivement poser de nombreux problèmes au sein de votre famile. Je comprends en effet aisément l’impact négatif sur l’ambiance des réunions familiales que peut avoir la volonté de Kévin de «cracher sur Noël, la fête des mères et les autres symboles pourris des oppressions religieuses comme capitalistes».  De plus, à partir du moment où votre enfant refuse de «rejoindre n’importe laquelle des écoles des moutons du capitalisme, ces fabriques d’esclaves volontaires», ses choix d’orientations professionnelles peuvent sembler incertains.  La question que nous devons nous poser est la suivante : Comment doit réagir l’éducateur parental face à pareille situation ? En effet si elle a le mérite de la simplicité, je ne crois pas que la méthode que vous suggérez (les «coups de pieds au cul pour le remettre dans le droit chemin ») soit pertinente sur le long terme.

Des exemples à suivre

Un bon éducateur ne doit jamais désespérer : Figurez-vous en effet que votre situation n’est pas sans évoquer de troublantes similitudes avec celles vécues par les parents des petits Nelson et Vladimir Illitch il y a quelques années. Ces derniers n’étaient pas certains que les choix d’orientations de leurs enfants (respectivement « l’Association Nationale des Combattants » et l’« Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière ») étaient les plus pertinents en matière d’intégration professionnelle réussie. Les sociétés sud-africaines et russes étaient, même plutôt sévères à l’époque vis-à-vis de telles initiatives.  Et pourtant, Nelson M. et Vladimir I. ont fait leur bonhomme de chemin.  L’orientation professionnelle révolutionnaire n’est pas une voie de garage : chaque décennie a connu des mouvements qui ont fourni à la Société une bonne partie de la classe dirigeante quelques années plus tard. La nébuleuse des mouvements autour de mai 68 a ainsi fourni un nombre incalculable de responsables politiques, médiatiques et économiques. Ce qui est assez logique du fait de la proportion d’étudiants qui avait participé aux évènements.

Des accélérateurs de carrière

Il est plus pertinent de s’intéresser à ceux de ces nombreux mouvements qui malgré des tailles réduites ont fourni de forts contingents de décideurs!

L’Organisation Communiste Internationaliste fut un pourvoyeur varié avec aussi bien de Premier Ministre (Lionel Jospin), de député (Jean-Christophe Cambadelis) que de Sénateur (Jean-Paul Alduy).  La Ligue Communiste Révolutionnaire se défendit correctement avec une double spécialisation en Ministre (Pierre Moscovici) et Députés (Julien Dray, Jean-Christophe Cambadelis ou François Rebsamen). La Gauche Prolétarienne fournissait une formation plus variée avec du président de mutuelles (Jean-Pierre Le Dantec) mais également du patron de presse (Serge July) ou du psychologue et philosophe médiatique (Gérard Miller, André Glucksman).

De l’autre coté de l’échiquier politique, qui aurait pu parier qu’une expérience dans la petite association d’extrême droite Occident qui se proposait notamment de tuer «les communistes partout où il se trouvaient» serait la clé de réussites sociales aussi variées que Ministres (Alain Madelin, Hervé Novelli, Gérard Longuet) ou Députés (Claude Goasguen, Jean Jacques Guillet) ?

Concernant maintenant les filières spécialisées, une bonne partie de la fine fleur des futurs dirigeants écologistes (Yves Cochet, Brice Lalonde, Dominique Voynet…) firent flamber leurs premières crêpes au tofu au sein des Amis de la Terre.

Des parcours révolutionnaires mais sécurisés

En termes d’assurances scolaires et périscolaires, ces voies de traverse sont infiniment moins risquées qu’à l’époque de Nelson et de Vladimir.  Il y a quelques années, la Gauche Prolétarienne et Occident mirent au goût du jour les activités risquées de plein air (kidnapping, maniement de barre de fer, explosifs pour les plus scientifiques). Ces initiatives s’expliquant essentiellement par une question de planning. Les animateurs souhaitant « déclencher la révolution » dans un délai court. Les animateurs de la Gauche Prolétarienne rappelant sur le sujet que «Le combat des travailleurs [n’avait] rien à voir avec la Fête à Neu-Neu ». Mais depuis, le militantisme est redevenue une activité assez proche des ateliers prévus dans la plupart des centres aérés (expression orale, expression écrite, collage et travaux manuels).

Les degrés d’impact sur la Société de ces leaders et de leurs mouvements sont particulièrement variés.  C’est au sein de certains d’entre eux que se sont construits les futurs mouvements de la société civile sur les causes féministes et homosexuelles.  Parfois cependant l’Histoire fut plus taquine. Ainsi c’est une menace de raid punitif d’Occident au sein de la Sorbonne le 30 avril 1968 qui a amené les étudiants à s’armer, initiative qui a déclenché une intervention policière, elle-même en partie responsable du déclenchement du plus grand événement… gauchiste français du 20ième siècle.  Aujourd’hui les mouvements visant aujourd’hui un projet global de révolution de sont de plus en plus rares. On trouvera ce qui s’en rapproche le plus au sein de mouvements (Jeudi noir, Act up, Sherpa…) visant des projets globaux de transformation d’un ou plusieurs piliers de la Société (respectivement logement, santé et droit des multinationales

Attention dans ce domaine aux faux amis ! Nous rappelons que tout projet révolutionnaire exige par définition d’avoir une idée de ce qu’on souhaite changer dans la Société. Rester assis, fut-ce à plusieurs et dans des lieux symboliques, en appelant à voix haute à la destruction de l’ordre établi ne saurait à ce titre être considéré comme éligible.  Mais laissons à Kévin ces considérations sentimentales (d’autant plus qu’il est indispensable qu’il continue au moins quelques années à croire sincèrement en ses combats) et parlons orientation.

 Bien choisir son mouvement révolutionnaire

Que devons-nous donc retenir des exemples cités pour le parcours post-scolaire du petit Kévin ?

En premier lieu, il se doit de rejoindre un mouvement avec une ambition à minima nationale. « Non à la mondialisation en Charente Sud » à laquelle il adhère ne peut représenter qu’une étape de son parcours. La révolution n’exonère pas de l’ambition, Kevin !  Il est important de plus que le mouvement maintienne un lien avec le pouvoir établi. Que ce soit par l’entrisme ou des agents de liaison, tous les mouvements cités veillaient à maintenir ce lien indispensable à de futures réorientations.  Enfin, il doit porter la plus grande attention au choix de ses petits camarades de révolution. Le succès des parcours des anciens militants est en grande partie dû aux liens personnels tissés au sein des mouvements.

J’attire au final votre attention sur le fait que peu des personnalités citées n’ont pas eu droit – au minimum – à une légion d’honneur.

Cette solution permettait ainsi de répondre également à la seconde interrogation exprimée dans votre courrier : Comment faire «fermer le clapet de [votre] c… de belle –sœur et de son a…. de mari» sur les brillantes études commerciales de leur progéniture?

Je vous prie de bien vouloir recevoir nos meilleures salutations éducatives.

Courrier des lecteurs.

Jean-Philippe Teboul

A lire :

Génération 1 et 2 – Hervé Hamon et Patrick Rotman – Points

Génération Occident – Frédéric Charpier – Seuil

La cause du peuple- décembre 1968

Les maoïstes – Christophe Bourseiller – Points

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