Quatre-vingt-huit pays dont près de quarante pays africains répriment les relations sexuelles entre personnes de même sexe. « Perversion morale », « maladie importée de l’occident», « déviance sexuelle», « crimes contre l’humanité », en Afrique et notamment au Cameroun, les qualificatifs méprisants ne manquent pas pour désigner l’homosexualité.
Il serait trop facile de leur jeter la pierre lorsqu’on sait que l’homosexualité a été considéré comme une pathologie psychiatrique jusqu’en 1973 aux USA et jusqu’en 1992 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans la Classification Internationale des Maladies (CIM). Si l’homosexualité est dépénalisée en 1982 grâce à Robert Badinter qui a essuyé trois refus au Sénat, elle est restée une maladie mentale au même titre que la schizophrénie jusqu’en 1992. Par ailleurs, certaines lois anti-sodomie ont été « importées » en Afrique par les anciens colons, en particulier les Britanniques. Enfin, la religion catholique condamne les relations homosexuelles qu’elle considère comme un péché et contre le fondement du mariage et de la famille. Ceci explique en partie la pénalisation de l’homosexualité dans environ quarante pays d’Afrique.
En revanche, le Cap-Vert, la Centrafrique et le Gabon n’ont pas de législation contre les homosexuels. Et ce sont les seuls pays africains à avoir signé le 18 décembre 2008 un projet français –qui a été rejeté en 2010 – de déclaration à l’ONU sur la dépénalisation universelle de l’homosexualité. Le 15 juin 2011, le Conseil des Droits de l’homme des Nations Unies adoptait néanmoins une résolution contre la violation des droits de l’homme relative à l’orientation sexuelle et l’identité de genre. D’autres textes internationaux vont dans le même sens.
Pressions internationales, réactions africaines
Au Cameroun, l’homophobie est omniprésente mais surtout viscérale.
Elle est d’abord inscrite dans la loi. Selon l’article 347 bis du Code pénal, adopté par ordonnance présidentielle de 1972, « Est puni d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de 20 000 à 200 000 F CFA toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe » . Ce texte est irrégulier car viole le principe de la séparation des pouvoirs sans lequel il n’existe aucune démocratie : il n’émane pas du parlement comme le préconise la Constitution camerounaise mais du pouvoir exécutif.
Au-delà de cette irrégularité, le texte camerounais viole plusieurs normes de droit international qu’il a lui-même adoptées, et qui ont pour effet de protéger l’homosexualité de poursuites pénales. Le Cameroun a par exemple adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme comme préambule de sa constitution. Il est d’ailleurs prévu dans cette constitution à l’article 45 que les conventions et traités internationaux signés et ratifiés sont au-dessus de la loi.
L’homophobie est répandue dans la société à un point qu’il est difficile d’imaginer, et les impressions d’audience consignées dans cet article ne peuvent retranscrire le climat épouvantable et la haine frénétique dans lesquels elles se sont déroulées, la moindre des surprises n’étant pas l’hostilité que manifestaient sans pudeur le public et mêmes les avocats camerounais présents ces jours-là.
ASF Suisse à la manœuvre
L’association Avocats Sans Frontières Suisse (« ASF Suisse ») a conclu en novembre 2010 à Yaoundé un partenariat avec l’association pour la défense des homosexuels présidée par Me Alice NKOM. Le partenariat prévoit qu’ASF Suisse assurera la défense des personnes inculpées du délit d’homosexualité.
Dans ce cadre, ASF Suisse est intervenue pour la défense des intérêts de Jonas, né le 22 août 1992, et de Franky, né le 9 septembre 1990, aux côtés de Me Alice NKOM et Me Michel TOGUE. Me NKOM, basée à Douala, est reconnue au niveau international pour son combat pour les droits des homosexuels. Me Michel TOGUE est le seul avocat à Yaoundé qui accepte de défendre des personnes poursuivies pour délit d’homosexualité. Alice et Michel sont tous deux d’excellents pénalistes, d’une humanité et d’une générosité hors norme.
Des procédures malsaines et humiliantes
Jonas et Franky ont été arrêtés dans la nuit du 26 au 27 juillet 2011 en compagnie d’Hilaire, né le 21 mars 1975, à la suite d’un contrôle de routine. Comme ils n’avaient pas leur carte d’identité, ils ont été conduits au poste. Les policiers ont constaté que Jonas et Franky étaient des travestis et ont procédé à leur arrestation. Sous contrainte, les prévenus sont passés aux aveux.
Depuis plus d’une année, Jonas et Franky sont détenus àla Prisonde Yaoundé dans des conditions de détention sordides : locaux insalubres, surpopulation carcérale, ils se font quotidiennement insulter voire menacer et frapper tant par les gardiens que par les autres détenus. Leur homosexualité et leur apparence efféminée jouent doublement contre eux.
Hilaire a versé quant à lui une certaine somme à la police, ce qui a permis sa mise en liberté immédiate. Il a fait défaut lors de l’audience de jugement de première instance et d’appel.
ASF Suisse devait se rendre à l’audience de jugement de première instance en novembre 2011, mais celle-ci a été annulée une semaine avant, puis a finalement été reprogrammée en dernière minute, si bien que qu’elle n’a pu y dépêcher sa représentante, une avocate du barreau de Genève [NDLR : l’auteur de ce compte-rendu].
Le premier juge s’est basé sur les aveux obtenus sous contrainte pour condamner Jonas et Franky à la peine maximale de 5 ans ferme d’emprisonnement et à une amende de 200.000 francs CFA. our justifier le flagrant délit qui seul autorise une arrestation immédiate, la police a déclaré qu’une patrouille du Groupement Mobile d’Intervention avait constaté qu’un véhicule roulait dangereusement sur la voie publique. Elle a interpellé le véhicule et a trouvé les nommés Hilaire, Jonas et Franky alors qu’ils « étaient en train de se tripoter les parties génitales ».
Voici la transcription absolument fidèle (fautes d’orthographes inclus) d’un extrait du procès-verbal d’audition à la police du 27 juillet 2011 de Jonas.
Question : Comment pratiquez-vous vos rapports sexuels ?
Réponse : pour pratiquer les rapports sexuels, on commence par s’embrasser ou bien on taille la pipe quand la personne est déjà excité, il se protège et il m’encule.
Question : Au moment des caresses, quelle est la sensation qui vous habite, si oui que faites vous ?
Réponse : Nous nous faisons enculer malgré les circonstances.
Question : Pourquoi ne cherchez-vous pas de fille comme tout les jeune garçon as-tu déjà couché une fille ?
Réponse : Je n’ai jamais couché une fille puisqu’elle me dis rien du tout
Question : Combien d’hommes d’enculent par soirée quand tu es en forme ?
Réponse : Je me fais enculé par une seul homme dans une soirée étant donné que ça fait mal.
Question : quels sont les produits que vous utilisez pour soigner votre anus régulièrement bousillé par l’intense activité sexuels exercés sur vous par les autres hommes ?
Réponse : Je n’utilise aucun produit puisque je n’exerce pas intensément cette activité.
Question : Quels sont les produits que vous utilisez pour vous faire facilement pénétrer ?
Réponse : Les lubrifiants, les glycérines, les savons et autres
A part les aveux obtenus devant la police sous la contrainte, aucun autre acte d’instruction n’a été diligenté par les autorités pénales.
Le Tribunal de première instance de Yaoundé Ekounou a estimé que les accusés ont « soigneusement décrit le modus operandi avant tout rapport sexuel et qu’au moment de leur interpellation les prévenus taillaient la pipe au nommé […] Hilaire c’est à dire qu’ils suçaient son sexe et qu’ils s’apprêtaient à entretenir les rapports sexuels entre eux,
Que si au moment de leur interpellation ils s’apprêtaient à entretenir les rapports sexuels avec le nomme Hilaire qui a le même sexe qu’eux, par le passé et dans le temps légal des poursuites ils se font quotidiennement enculer par d’autres personnes ;
Que cet aveu signifie qu’ils entretiennent régulièrement des rapports sexuels avec les hommes de même sexe qu’eux,
Que cet aveu signifie qu’ils sont auteurs de cette infraction.
Que les prévenus ayant reconnu faits ont entretenu des rapports avec les hommes ayant le même sexe qu’eux ils tombent sous le coup de l’homosexualité ;
Que c’est volontairement qu’ils agissent régulièrement, en connaissance de cause avec l’intention que leur acte constitue bien l’infraction d’homosexualité »
(Jugement no 1892/COR du 22 novembre 2011, page 4)
Appel en milieu hostile
A l’audience d’appel le 20 juillet 2012, Jonas et Franky se trouvent menottés l’un à l’autre au premier rang. Le Président marmonne que notre dossier sera retenu de manière « exceptionnelle » seulement pour la requête de mise en liberté provisoire et non sur le fond, un juge ayant été remplacé au pied levé.
Les avocats des prévenus plaident l’affaire. Les juges sont très attentifs. Le Président demande spontanément l’audition des personnes garantes de la représentation à l’audience des prévenus. Le père de Jonas s’avance. C’est rare. En général, la famille répudie un fils homosexuel.
Le Procureur prend la parole : d’une voix forte il plaide qu’une étrangère, en l’occurrence l’avocate suisse représentant ASF Suisse, ne peut invoquer la dignité de l’article 1 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme car il faut respecter leur dignité qui commande qu’un homme ne peut s’afficher avec un homme et une femme avec une femme. Il s’oppose « catégoriquement » à la mise en liberté. Le public constitué de nombreux avocats applaudit. Le ton monte avec les avocats des prévenus. La salle s’agite, les gens se lèvent et se mettent à les huer. Le Président invite au calme.
Les décisions se rendent en général sur le siège. Cependant, après concertation avec ses collègues,la Courd’Appel décide de garder la cause en délibéré jusqu’au 3 août 2012. Le 3 août 2012, la cause a été renvoyée au 17 août 2012 sans explication. Le 17 août 2012, la cause a été renvoyée au 21 septembre 2012.
L’appui de l’ambassade de Grande-Bretagne
Le vendredi matin 21 septembre, les avocats des prévenus au Tribunal. L’Ambassadeur de Grande Bretagne arrive lui aussi. Il ne pourra rester très longtemps mais tenait à marquer son soutien à la. Il recevra des mails de menaces quelques jours après.
Jonas et Franky arrivent. La cause est appelée. L’interrogatoire des accusés commencent. La salle, comble, est hostile aux accusés. Le Procureur fait glisser un mot au Président qui n’écoute plus les accusés. Soudainement, sans mot dire, il se lève avec ses collègues et ils quittent la salle d’audience. Suspension d’audience… L’avocate suisse veut prendre des photos d’elle avec Jonas et Franky. On le lui interdit au motif que ces photos risquent de se retrouver dans la presse étrangère et sur Facebook. L’audience reprend avec l’interrogatoire des prévenus par la défense.
Le Procureur, d’une mauvaise foi crasse, essaie en vain, de déstabiliser et de provoquer les accusés. Jonas et Franky répondent avec aplomb aux questions. Ils nient catégoriquement leur homosexualité. Ils n’ont pas le choix. Les questions des juges sont à dessein dérangeantes. Des questions sur leur habillement féminin. Franky répond que c’est son look, qu’il se sent bien, qu’il se sent « sexy ». Rires et ricanements dans la salle. La juge leur demande s’ils ne doivent pas avouer leur homosexualité puisqu’en étant habillé comme des femmes, ils ne peuvent attirer que des hommes.
Le Procureur plaide. Il argumente sur le non-respect des conventions internationales. Son discours est confus. Oui, le Cameroun a signé certaines conventions internationales mais peut choisir les articles qu’il décide de respecter. Il parle du délit d’homosexualité, comme d’une « abomination, une malédiction » pour le peuple camerounais. Le public approuve.
Me Michel Togué, Me Alice Nkom et l’avocate suisse plaident. C’est un exercice difficile et absurde de plaider que les éléments constitutifs de l’article 347 bis du Code pénal ne sont pas réalisés. Certes il n’y a aucune preuve qu’ils sont homosexuels, pas de flagrant délit. C’est en réalité un pur délit de facies. Il est aussi difficile de plaider les principes régissant la fixation de la peine ; notamment l’effet de la peine sur leur avenir et la gravité de la faute et de les transposer à un crime qui n’existe pas.
A la fin des plaidoiries, un des juges prie l’avocate suisse de s’avancer et lui lance qu’elle n’a pas le droit d’affirmer que le premier juge a violé la loi.
Menaces
Le verdict devait être rendu le 5 octobre 2012. Il a été reporté au 17 octobre 2012 puis au 21 décembre 2012 pour la réouverture des débats. Il semble qu’un juge a été muté et qu’il faille tout recommencer.
En attendant, Jonas et Franky restent en prison. Me Michel Togué et Me Alice Nkom reçoivent des menaces sérieuses et récurrentes, par mails notamment, dont voici un extrait (fautes d’orthographe incluses).
« Bonsoir ma petite pute Lesbienne tu as fuit le proces espèce de lache le 21 décembre est encore loin. D’ici la si vous ne renoncez pas Vous verrez. Sale chose.
Ton complice (soit Me Michel Togué dont ses enfants sont menacés de mort) a pensé qu’en déplaçant ses enfant pour allez les garder chez un GPP de la protection diplomatique il assure leur sécurité ? Ce n’est pas sûr. Dis lui que nous connaissons où ils sont et que nul par dans ce pays ils n’auront la paix.
(…)
Maintenant c’est ton tour. Combien d’enfants as-tu exactement ? Attends de voir leurs photos à notre prochain contact.
PETASSE LESBIENNE PEDE LACHEUSE DE CUL »
ASF Suisse entend saisir la Cour Suprême du Cameroun pour qu’elle constate notamment l’illégalité de l’art. 347 bis du Code pénal, et si le recours est rejeté, essayera de porter l’affaire devant la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples, le but ultime étant la dépénalisation de l’homosexualité au Cameroun.
Saskia Ditisheim