Après la catastrophe du Bangladesh et l’effondrement d’une usine de textile qui a couté la vie à plus de 1130 travailleurs, les investisseurs institutionnels, les multinationales et les fonds d’investissement s’interrogent.
C’est évidemment le cas des institutions publiques et parapubliques de développement, qui sont des acteurs majeurs de l’investissement en pays émergents. L’Agence française de développement via Proparco, la Banque Mondiale via la Société Financière Internationale, la Banque européenne de reconstruction et de développement, la Banque africaine de développement, leurs homologues asiatiques et latino américains, toutes ces institutions injectent depuis longtemps des milliards dans les économies émergentes. Toutes insistent, sur leurs sites internet au moins, sur l’aspect durable et respectueux de l’environnement des projets qu’elles soutiennent. Ce sont ces fonds publics et parapublics qui sont les plus soucieux de développement durable, d’investissement socialement responsable et de bonne gouvernance. Les fonds privés, les entreprises industrielles leur ont emboîté le pas.
L’ investissement socialement responsable (ISR) est bien entré dans les moeurs, ces quinze dernières années.
C’est surtout pour les investisseurs institutionnels que les standards et les ratings se sont multipliés ces dernières années. Le Global impact Investing network, ou GIIN, soutenu par la Fondation Gates a par exemple récement mis en place une base de données appelée ImpactBase qui cherche à promouvoir une série de normes et de principes dénommés IRIS, soit « impact reporting et Investment standard ». Ces agences d’évaluation, leurs normes sont désormais nombreuses et se concurrencent. On recense par exemple le Sustainability Accounting Standards Board, The Carbon Principles, The Climate Group et The Climate Principles, les Principles d’Equateur, l’Extractive Industries Transparency Initiative, l’International Standards and Certification Scheme for Climate Bonds, le WindMade Label pour ne citer que les plus connus !
Après la catastrophe du Bangladesh, les acteurs nationaux et internationaux se sont engagés à améliorer les normes de sécurité dans les usines du pays. Une semaine après le drame, trente-huit sociétés ont ainsi conclu l’« Accord on Factory and Building Safety in Bangladesh », proposé par les grandes marques et les ONG dans un délai au fond remarquablement court, qui donne la mesure du trouble qui a saisi les entreprises concernées et les consommateurs (ceux-là, en France moins qu’ailleurs, reconnaissons-le). Le Bangladesh reste de toute façon une destination attractive pour les sociétés du secteur textile : la main d’œuvre y est formée et bon marché, le pays fait partie de l’OMC et l’environnement des affaires y est plus praticable qu’en Chine ou en Inde.
Les fonds sont peu loquaces sur les conséquences négatives de leurs investissements ; tous défendent l’idée qu’en étant des actionnaires actifs, ils forment les conseils d’administration à être plus sévères avec les dirigeants, ils poussent à l’adoption de règles plus strictes en matière de comptabilité, ils améliorent les chaines de production en termes de sécurité, de productivité, d’approvisionnement, de distribution.
Et cela est souvent vrai : nombre de fonds d’investissement conditionnent leur investissement à une approche “hands on” active et non passive, à une réelle participation à la vie de l’entreprise. Peut-on imaginer que les fonds entrés au conseil d’administration des sociétés indiennes, philippines, mexicaines ou nigérienes, … auront davantage à coeur d’y acclimater les principes qui se sont imposés dans le débat public occidental ?
En tout état de cause, la régulation se corse dans les pays occidentaux dont les gouvernements commencent à interroger les sociétés occidentales qui auraient versés des pots de vin pour obtenir des marchés locaux. Le scandale autour de Gulnara Karimova, la fille du Président Islam Karimov, soupçonnée par les policiers français, lituaniens et suisses de blanchiment, et par les suédois d’avoir reçu des pots de vin du géant des télécoms Nordiques TeliaSonera pour entrer sur le marche Ouzbek en 2007. Le président de cette société a dû démissionner en février dernier après qu’une enquête interne eut découvert que la société n’avait respectée aucune de ses bonnes pratiques internes. On connait les déboires récurrents du groupe ALSTOM ou de THALES, sur lequel la presse française a finalement bien peu enquêté, ou encore ceux de SIEMENS.
Par les normes qui se multiplient, par les accords de coopération tel celui qui a suivi la catastrophe de Dacca et par les poursuites pénales pour corruption, les économies émergentes ont cessé d’être des zones où les droits sociaux, l’environnement et les principes élémentaires de moralité sont tenus pour quantité négligeable, mais la route est encore longue.
Melvin Manchau
Texte intégral : Accord on Factory and Building Safety in Bangladesh