Le « genre » à l’école ? Éviter Lyssenko, faire du droit

Il est étonnant que personne n’ait de nouveau prononcé le nom de Troffym Lyssenko, ces dernières semaines, quand la polémique sur l’enseignement du « genre » a commencé – on devrait dire la lutte officielle, plus ou moins coordonnée, plus ou moins conceptualisée contre les stéréotypes. Lutte utile et dont le but ne peut qu’être approuvé, disons-le tout de suite. C’est pourtant un nom qui est souvent associé à la « théorie du genre ».

La polémique, on le sait, est venue des milieux traditionalistes, catholiques mais aussi désormais musulmans. La droite parlementaire a saisi l’occasion de mettre le gouvernement en difficulté. Copé s’est illustré avec des propos bien dans sa manière, tranchante et vulgaire. Il oubliait que la « théorie du genre » avait été discutée une première fois du temps où l’UMP Luc Chatel était ministre de l’Education nationale, ce qui lui avait valu d’ailleurs en 2012 le prix Lyssenko, prix parodique décerné par le très réactionnaire Club de l’Horloge.

Confusionnisme

Cette polémique a néanmoins eu le mérite de mettre en évidence deux faits qui ne doivent pas être dissimulés.

D’abord l’Éducation nationale agit avec le confusionnisme conceptuel, bienveillant et moderniste qu’on lui connait1.

Le Premier ministre dément sans ciller qu’on enseigne en France la « théorie du genre », afin d’éteindre le débat. Vincent Peillon ajoute aussitôt, prudent, qu’il s’agit seulement d’enseigner l’égalité hommes-femmes dès le plus jeune âge au delà des stéréotypes de genre, et les enquêtes des journaux attestent qu’une lutte contre les stéréotypes est bien menée par les enseignants, dans le cadre du programme dit « ABCD de l’égalité » et de multiples autres façons.  Des enseignants rétorquent alors au ministre de l’Education qu’effectivement, leur enseignement est inspiré par la « théorie du genre » et qu’ils n’ont pas l’intention de s’en excuser.  Le choix des livres soumis aux enfants est l’occasion d’un nouveau débat : ceux que l’opposition stigmatisent ne seraient pas au curriculum officiel, mais certains seraient néanmoins utilisés, apparait-il – débat peu clair.  Des biologistes, dans Le Monde du 11 mars 2014, défendent comme scientifique la « théorie du genre » et recommandent qu’on s’en inspire dans les programmes éducatifs, au nom du progrès de la science, mais leur texte est si confus qu’il pourrait appeler la conclusion inverse.  Les initiatives sont parfois sensées, parfois  baroques, parfois parfaitement inconvenantes – si l’on croit cet article du Figaro qui rapporte la conférence faite en école primaire par un homme à la sexualité frénétique et multi-directionnelle (le doute est permis néanmoins). La droite crie à l’ingéniérie sociale et, pour sa fraction illuminée, au complot LBGT.

Débat confus !

Il reste qu’à aucun moment, le ministre de l’Éducation nationale n’a formulé un propos clair et construit sur ce qu’il convenait d’enseigner et ce qu’il serait par contre inapproprié d’enseigner aux enfants des classes primaires et secondaires. Décevant de la part d’un agrégé de philosophie. Un peu de clarté conceptuelle ne fait jamais de mal. En son absence, ce sont les Services qui règlent les affaires, ou alors c’est le ministre des droits de la femme qui donne le la, ministre dont l’aptitude à mesurer la complexité des questions ne fait plus débat : elle est nulle, tout est simple. Quant aux journaux à juste titre sensibles au thème de l’égalité entre les sexes, Le Monde et Libération en tête, leurs articles au soutien de ces « ABCD de l’égalité » ne se sont pas signalés par leur précision, se bornant à relever les outrances et les erreurs, bien réelles, des milieux traditionalistes.

Du droit

Second enseignement : cette entreprise de lutte contre les stéréotypes gagnerait à s’émanciper de toute considération scientifique, et à admettre qu’elle procède de la sociologie, du droit, et de rien d’autre.

On aurait aimé entendre le ministre de l’Éducation rappeler que la réalité sociologique doit être décrite aux enfants comme elle est, et que cette réalité comporte aujourd’hui l’homosexualité, le mariage gay et les familles à parents du même sexe, … Faits sociaux objectifs, que l’Ecole doit expliquer aux enfants. Ce n’est attenter à aucune conscience.  Et il lui aurait suffit de rappeler ensuite le principe d’égalité des droits, au sens le plus formel du terme, qui se prolonge jusqu’à l’idée qu’une petite fille et un petit garçon ont droit au même traitement et  peuvent avoir les mêmes aspirations. Rappel qui ne saurait faire débat.

A se limiter intelligemment, l’Éducation nationale se protègerait ainsi de l’accusation d’ingénierie ou de rééducation sociales, et de celle d’entrer indûment dans un domaine qui relève de la souveraineté des parents2.  L’Éducation nationale sur cette base peut convenir aux enfants de psychanalystes parisiens comme aux enfants de paysans venus d’Anatolie.

La « théorie du genre », cette réplique inversée du traditionalisme, n’a rien à faire dans ce paysage. Ce n’est pas à l’École d’entrer dans le débat sur la construction de l’identité sexuelle, surtout si elle le fait aux côtés d’idéologues, d’un bord ou de l’autre, plutôt que de scientifiques. La « théorie du genre » a le malheur de relever du Lyssenkisme : la nature rééduquée au nom du Bien. L’observation a souvent été faite.

Le vieux mot de Simone de Beauvoir « On ne nait pas femme : on le devient » n’a pas besoin de s’associer à ce scientisme newlook.

Serge Soudray

Notes

Notes
1Et dont on trouvera un exemple naïf et représentatif ici. La « théorie du genre », ce n’est pas ce qui commande que les filles ne soient pas évincées des cursus d’ingénieurs et que régressent les inégalités salariales, contrairement à ce que croit cet auteur psychologue au CNRS qui en fait l’autre nom du féminisme, alors que c’est bien autre chose.
2Il y aurait une histoire à écrire au sujet du concept devenu poncif d’émancipation dans l’Éducation nationale : judicieux vers 1900, au moment de la lutte contre l’Église dans une société rurale à faible niveau d’instruction, sans pertinence et condescendant aujourd’hui.
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