Les auditeurs de l’émission Répliques, le samedi matin sur France Culture, sont probablement nombreux à s’inquiéter pour la santé mentale d’Alain Finkielkraut. Clair et cohérent quand il parle de littérature, il s’emballe, perd ses moyens et fait ressortir une structure mentale altérée dès qu’il parle d’immigration. L’émission du samedi 21 juin, avec l’économiste Olivier Pastré, probablement sidéré des âneries qu’il entendait, et Hervé Juvin, cet homme d’affaires essayiste qui ne dépasse jamais le niveau d’un salon réactionnaire du VIIème arrondissement ou de Versailles, en est un témoignage étonnant – et nous incitons nos lecteurs à le vérifier par eux-mêmes (lien ci-dessous). Finkielkraut y est parfois si confus qu’il en vient à expliquer la morale moderne par le monothéisme dont la religion des anciens grecs serait une variété (mais peut-être sa langue avait-elle fourché dans la chaleur de la discussion). A l’écrit, dans son récent article du Débat par exemple1, le propos est plus nuancé (quoique peu avare de clichés), mais la parole, la radio lui font quitter le domaine de la pensée consciente d’elle-même. Et il faut craindre que la parole et la radio, mieux que l’écrit, donnent la vérité du personnage.
Débats piégés
Emission au thème piégeux que « L’Europe, continent d’immigration » ! Nos lecteurs, là encore, pourront le constater. Alain Finkielkraut et Hervé Juvin y reprennent, sans se poser de questions de chiffres, la thèse désormais bien connue du “grand remplacement”, popularisée par le trop célèbre Renaud Camus, dont tous deux prononçaient le nom avec faveur. La population française serait, contre sa volonté, promise à un grand remplacement par des populations venant d’Afrique, du Maghreb et d’Afrique noire, dans un mouvement voulu ou couvert par des élites économiques, toujours heureuses de bénéficier d’une main d’oeuvre à bon marché, et des milieux intellectuels aveugles ou pervers. Et tous deux de citer un obscur rapport des Nations Unies qui préconiserait l’arrivée d’un milliard d’africains d’ici 2050, et de critiquer Olivier Pastré qui tentait de mettre un peu de raison dans le débat pour être trop “économiste”. Les propos de ce dernier étaient pourtant mesurés et certainement pas marqués par le “politiquement correct” qui est souvent de mise, il est vrai, dès qu’il s’agit d’immigration et des difficultés d’intégration des populations non européennes – intégration dont il faut toujours rappeler qu’elle est en marche malgré tout (probablement plus par les classes moyennes que dans les classes populaires), malgré cette longue période de chômage de masse et, de surcroît, quand le monde musulman est partout traversé par une vague rigoriste qui n’arrange rien. Bref, dans des conditions qui ne sont pas simples, et qui appellent la réflexion plutôt que l’imprécation2.
Fantasmagorie
Mais analyser les difficultés, nombreuses, réelles, est une chose, tomber dans la fantasmagorie anti-immigrée en est une autre. Alain Finkielkraut semble voir derrière tout noir un Fofana, derrière tout arabe un Mohamed Merah, et dans son duo avec Hervé Juvin, c’est le vieux Péril jaune des années 1900 qu’ils ressuscitent. Leurs formules viciées telles « immigration de peuplement », « remédier à l’immigration de peuplement » (deuxième tiers de l’émission), témoignent d’un bel éloignement de la pensée rationnelle.
Comment en est-il arrivé à cet abandon de la raison ? Il faut admettre que le talent pour l’analyse littéraire ne donne aucune clef pour comprendre les sociétés humaines. A Finkielkraut, manquent les faits, les concepts et surtout cette prudence de raisonnement qui est toujours requise quand on veut s’occuper d’affaires publiques. Comment calmer un grand angoissé qui tient des propos anxiogènes, et qui finit par devenir, dans la société française, un élément de la confusion générale dont il faudrait sortir ?
En attendant, suggérons à France Culture de garder Alain Finkielkraut pour ses émissions à thèmes littéraires, mais de l’envoyer en détachement sur Radio Courtoisie pour toute émission qui voudrait parler de politique française et d’immigration. Il y a toute sa place.
Serge Soudray
Post Scriptum (24 juin 2014) – Tenons compte des justes critiques faites à la conclusion de cet article : la littérature donne certainement et souvent un grand sens des affaires humaine, de la société …., mais cela ne garantit rien.