Politique française : triste scénario

Dominique Strauss-Khan vient de déclarer que François Hollande dissoudrait probablement l’Assemblée nationale avant la fin 2015 et François Bayrou vient d’annoncer que François Hollande ne terminerait pas son mandat.  Strauss-Khan et Bayrou ne sont pas des opposants de type perroquet, comme l’UMP en compte beaucoup et qui répètent sur injonction d’un Copé « démission, démission, … ».   Au même moment, Manuel Valls déclare que la gauche peut mourir, et il semble s’installer dans l’opinion l’idée que le Front National sera nécessairement présent au second tour de l’élection présidentielle de 2017.

Schadenfreunde

Il faut évidemment faire la part des tactiques personnelles dans ces prévisions, et celle de la schadenfreunde, cette joie mauvaise.  Néanmoins, le scénario d’un éclatement, d’une évaporation du pouvoir socialiste, deux ans après l’élection présidentielle, ne peut être écarté – la IVème République a bien éclaté devant les événements d’Algérie.

La dissidence d’une petite cinquantaine de députés, mécontents du tournant « social-libéral » du quinquennat, n’y sera certainement pour rien : les techniques du parlementarisme rationalisé permettent au gouvernement de les contenir.

Cet éclatement, ce serait plutôt la conséquence de l’impopularité de François Hollande. Elle signale de façon synthétique que le Pouvoir a perdu sa majorité électorale de 2012 et aussi, plus profondément, sa base sociale – et la situation ne risque pas de s’améliorer : le contexte des dix-huit prochains mois sera marqué par la montée globale et continue du chômage et par une succession de mouvements sociaux de type corporatiste1 en réaction à ce que le gouvernement veut décrire comme une « politique de l’offre », mais qui est confuse, tardive et probablement intempestive dans la conjoncture européenne actuelle.

Il ne pourra plus être dissimulé que l’économie, en situation de croissance très lente, n’a aucune chance de créer des emplois en nombre suffisant. Il ne pourra non plus être dissimulé que le Pouvoir est prisonnier de lui-même, de son histoire, de ses soucis d’équilibre entre factions socialistes, et qu’il a épuisé sa capacité à réformer. C’est bien cet état d’asthénie que redoute le nouveau Premier ministre.

Une fragilité aux chocs extérieurs

Le Pouvoir pourrait se contenter de gérer les affaires courantes, et se résigner, en protestant du contraire, à ce que le chômage, les déficits … ne diminuent pas.  Mais dans ces conditions, il suffirait d’un choc extérieur à la sphère politique pour le mettre dans l’obligation de se déclarer publiquement hors d’état de continuer à diriger le pays – ce que signifierait la démission de François Hollande  ou la dissolution de l’Assemblée nationale, plus probable que la démission2. C’est le constat de cette fragilité qui explique les propos de Strauss-Khan et de Bayrou.

Ce choc extérieur pourrait être financier : une remontée des taux d’intérêt, par exemple, qui rendrait le service de la dette beaucoup plus coûteux et aggraverait les déséquilibres budgétaires. Ce n’est cependant pas le scénario le plus probable, et surtout, il trouverait sa solution dans le renforcement de la coopération monétaire européenne, l’Allemagne n’ayant aucun intérêt à ce que la situation économique de la France se détériore trop.

Compte tenu de la démographie des villes de banlieue, ces émeutes de la jeunesse non qualifiée auront, comme en 2005, une apparence de révolte ethnique, et alimenteront les angoisses xénophobes d’une partie de la population – alors qu’elles seront avant tout, comme en 2005, l’effet du chômage de masse et de la relégation sociale. L’air qu’on respire, l’esprit public n’y gagneront rien.

Dans une situation de cette sorte, la dissolution de l’Assemblée nationale revient à demander au corps électoral de désigner une majorité à la mesure des nouvelles circonstances. Elle aurait comme avantage soit de relancer le pouvoir en lui donnant une nouvelle assise (pari réussi du général de Gaulle en 1968), soit de le remplacer avec une nouvelle majorité et une nouvelle base sociale (effet du pari perdu de Jacques Chirac en 1997).

François Hollande pourrait tenter, face à un choc de ce type, d’élargir sa majorité à certains segments de l’opposition dans un gouvernement d’Union nationale. La polarisation Gauche-Droite est néanmoins trop forte pour permettre cette stratégie ; et puis Hollande n’a pas eu les bons gestes. Reste donc la dissolution3.

Tout ceci est bien triste. Si une partie des électeurs de François Hollande se dit déçue du tournant qu’elle croit « social-libéral », une autre se désole du spectacle donné depuis deux ans.

Serge Soudray

Notes

Notes
1Mouvements dont les grèves à la SNCF et les actions des intermittents du spectacle sont de parfaits exemples. En relève aussi l’opposition sénatoriale à la réforme des collectivités territoriales – réforme qui était et qui, dans sa nouvelle version, a toute chance de rester l’autre grand ratage du pouvoir socialiste, comme nous l’avions dit depuis le début, avec la politique du logement.
2Les Législatives ont aussi l’avantage d’être moins adaptées à la nature et à la stratégie du Front National
3Certains éditoriaux lui prêtent le souhait de dissoudre pour provoquer une cohabitation avec une droite qui s’épuiserait dans l’exercice du pouvoir, et se discréditerait pour 2017 – bref, un plan « pourrissement » peu glorieux.
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