Souvenir après Retour à Ithaque

Le beau film de Laurent Cantet, Retour à Ithaque, qui montre une petits groupe d’intellectuel cubains entre Tchekhov et Sakarov, fait revenir toutes sortes de souvenirs chez ceux qui ont connu Cuba, ces vingt dernières années – période durant laquelle la fausse monnaie castriste a cessé d’avoir cours, période de stagnation pour Cuba.   Tout y est  :   le charme de Cuba,  sa douceur, sa liberté sexuelle, sa mixité des races, sa culture, et l’horreur du stalinisme, mais aussi (et surtout) la nostalgie de la jeunesse enfuie, les regrets.

Renée Fregosi, à qui nous devons notre dernier article sur la fin des dictatures en Amérique latine et qui a beaucoup apprécié Retour à Ithaque, nous livre le poème que lui avait inspiré son seul voyage sur l’île, en 1989, alors que beaucoup espéraient alors que les « gorbatchéviens » allaient l’emporter.

La rédaction

Retour de la Havane

Et la voix nous disait « il n’y a plus lieu d’attendre »
La ville coloniale sereine et dégradée
Aux façades oubliées fières et désespérées
Comme au temps d’Hemingway n’espérait que se vendre.

Contre le parapet du Malecón trempé
Les vagues furieuses annonçaient le naufrage
D’un monde décrépit le douloureux carnage
De ce conservatoire aux statues ébréchées.

Nos ombres s’allongeaient en figures parallèles
Et un observateur inattentif aurait
Pu croire que nous marchions côte à côte mais en fait
Quelques pas devant lui j’attendais qu’il m’appelle.

Lorsque nous arrivâmes mouillés salés hilares
Au niveau du Buena Vista Social Club
On nous aurait bien cru tous deux sortis d’un tub
Nous jubilions complices comme de vieux tricards.

Il ne fut plus question de signaux convenus
Nous dansions encastrés et nous nous embrassions
A pleine bouche et là tout debout copulions
Je partis au matin jamais ne l’ai revu.

Sur la nappe en papier d’un bistrot de trottoir
Il m’avait dessinée comme sur une plage
Et il avait écrit ces mots prémonitoires
« Tu as le charme triste des oiseaux de passage ».

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