Il est invraisemblable que le débat sur la déchéance de nationalité occupe une si grande place dans les journaux de gauche.
Le constat est fait par beaucoup. La mesure est mal conçue et, faisant de la nationalité une variable d’ajustement, elle peut créer un précédent dangereux. Elle est aussi sans portée pratique de l’aveu même de ceux qui la défendent – et puis quel Etat acceptera d’accueillir le terroriste binational déchu de la nationalité française et qui vient de passer de longues années en prison ? Il sera de fait inexpulsable.
François Hollande avait certainement cru bien faire, dans un souci d’union nationale, en reprenant cette idée qui incontestablement vient de la droite. C’est probablement pour rassurer sa gauche et le centre, par souci d’équilibre, qu’il a dans le même temps proposé d’inscrire l’état d’urgence dans la Constitution – manière de donner un cadre strict, difficile à modifier à un régime qui paraît laisser trop de liberté au pouvoir administratif. On peut accuser le Pouvoir d’avoir tenté un coup politique ; on peut aussi lui reconnaître une sincérité républicaine que n’avait pas son prédécesseur. Mais c’était sans assez de réflexions juridiques, et avec un entêtement qui a fini par le piéger.
Il reste que le débat sur la déchéance de nationalité occupe trop les colonnes des journaux et certains esprits de gauche.
Pour la gauche tendance Mediapart et plus globalement la gauche anti-libérale, Plenel et Agamben, c’est le moyen de mettre le pouvoir socialiste en difficulté. Ces gauches insensées et irresponsables n’ont pas admis l’état d’urgence, qu’elles considèrent comme le retour de la répression coloniale, celle de la guerre d’Algérie. C’est oublier que la presse et les tribunaux n’ont pas cessé de fonctionner, que le contrôle parlementaire des mesures a été renforcé, et que la Vème République a su chaque fois mettre fin à l’état d’urgence quand ont cessé les périls, FLN ou OAS.
Cette fausse gauche refuse, dans le même esprit, la déchéance de nationalité. Elle y voit l’effet d’une xénophobie sournoise. Elle ne voit pas que la mesure, aussi idiote qu’elle soit, n’est pas sans canaliser les passions malsaines qui ont pris la société : il n’est pas inutile d’imaginer, dans les circonstances actuelles, une peine afflictive et infamante, selon la vieille terminologie, pour signifier, par le droit, le rejet du terrorisme et le mépris dans lequel la nation tient les terroristes. L’opinion le demande, et la détermination du pouvoir politique sur ce point nous évite d’assister au désolant spectacle qu’a donné la Corse au début janvier. Cette peine afflictive et infamante devrait être mieux conçue, voila tout. Il est dommage de ce point de vue que l’indignité nationale n’ait pas été retenue comme en 1945.
Les djihadistes eux doivent bien s’amuser de voir le soin que la gauche radicale prend de leur nationalité française. Ou l’on voit que l’anticolonialisme, sentiment noble en 1960, est devenu en 2015 la fausse excuse de la bêtise et de la frivolité1.
Les vraies questions
Le malheur, c’est que cette véhémence, ces emportements surjoués2 font oublier que la situation et l’état d’urgence appellent de vrais débats.
Pourquoi le gouvernement refuse-t-il une commission d’enquête sur les attentats de janvier et novembre 2015 et les failles de la justice et des forces de l’ordre qu’ont évoquées plusieurs observateurs ?
Pourquoi les procédures permises par l’état d’urgence ont-elle été employées contre des militants écologistes au moment de la COP 21 ? Qui l’a décidé et pourquoi ceci n’a-t-il pas donné lieu à enquête parlementaire ?
Comment seront vite indemnisées les personnes qui ont subi à tort une perquisition (hypothèse inévitable) et les dégâts matériels qu’elle occasionne ? Quelles solutions rapides, quels dédommagements faut-il imaginer ? La situation actuelle n’est pas heureuse si l’on en croit ce qui est rapporté dans les journaux.
Quelle évaluation indépendante de l’état d’urgence sera faite pendant qu’il est en vigueur ? Par quelle instance ? Le contrôle parlementaire prévu par la loi du 21 novembre 2015 3 est-il effectivement exercé ? Quelle information peut être donnée au public ? Les Frondeurs feraient mieux d’exercer les pouvoirs qui viennent d’être attribués au Parlement plutôt que de se perdre dans la rhétorique gauchiste.
Comment le pouvoir judiciaire, sans pour autant affaiblir ou retarder l’effort des forces de l’ordre, peut-il jouer son rôle ? Faut-il un juge spécialisé pour contrôler ce qui devrait l’être ? Ne faut-il pas instituer un comité de sages, dégagé des débats politiques, pour imaginer un meilleur réglage des procédures administratives et judiciaires ?
L’état d’urgence, il faut toujours le rappeler, fut en 1955 un progrès du droit par rapport à l’état de siège qui donnaient pleins pouvoirs aux autorités militaires4. Ce n’est pas un état de non-droit et de pur arbitraire. Il peut, il doit être amélioré.
Les faux débats détournent l’attention des vraies questions. Ce n’est pas le moment.
Stéphan Alamowitch
Notes
↑1 | Pour un exemple de discours qui tourne à vide, voir sur Rue89, l’article d’un chercheur connu qui parle du « Sud dominé » dans un contexte qui n’appelle pas ce genre de synthèse conceptuelle entre Ben Bella, Samir Amin et Bourdieu, qui méritent mieux |
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↑2 | La Sainte-Trinité de cette gauche radicale : cécité, véhémence, inutilité. Qu’elle se demande pourquoi, si elle tient certaines rubriques du Monde ou de l’Observateur, Mediapart et Rue89, elle ne compte plus pour grand chose aux élections et dans l’opinion publique. |
↑3 | Art. 4-1. –« L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. » |
↑4 | Et qui figure lui à l’article 36 de la Constitution de 1958, à la différence de l’état d’urgence. La Commission Balladur avait proposé de l’y inscrire. |