Brexit (bis)

Le vote britannique, en fait anglo-gallois, pour la sortie de l’Union européenne, le 23 juin dernier, vient de loin.

Nous avions attiré, en février, l’attention sur les trois colères dont il risquait de procéder : le souci tory de la souveraineté parlementaire et judiciaire, le ressentiment des classes populaires contre l’ouverture des frontières et, aspect rarement noté en France mais bien présent, le rejet d’une Europe sous influence allemande.

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La deuxième colère est celle qui apparemment a le plus mobilisé. La campagne a donné aux thèmes de l’immigration et du contrôle des frontières un rôle-clef. C’est par ce biais que la thèse du Brexit a convaincu une majorité des électeurs. Les deux autres colères ont joué un rôle certain mais moindre : l’esprit tory concerne la fraction historique de la classe dirigeante ; le rejet de la German dominance est un sentiment général mais diffus qui, à lui seul, n’aurait pas justifié un vote pour la sortie de l’Union européenne. Le rejet des étrangers en revanche, européens ou non, la xénophobie ont mobilisé de vraies masses, à la sociologie très typée, qui ont fait l’élection. Le plombier polonais, les migrants entassés à Calais… ont servi d’épouvantails.

De ce point de vue, le vote Brexit signale une évolution des classes populaires, au Royaume-Uni, vers une xénophobie de protection et contre une certaine forme d’organisation du marché du travail, réelle ou fantasmée. L’évolution en cause ne se limite pas à la Grande-Bretagne, on ne le sait que trop bien. Les classes laborieuses, les salariés d’exécution, les classes moyennes inférieures, à tort ou à raison, contestent qu’on les mette en concurrence avec de nouveaux arrivants pour les emplois qui leur correspondent et pour les prestations de l’Etat-Providence. Les analyses qui montrent que l’immigration de main d’œuvre alimente la croissance économique ne les convainquent pas, au moins parce que le point de croissance gagné ne leur profite pas. Ils voient surtout la pression qui en vient sur les salaires ou les conditions de travail. Le contrat zéro heure, parions-le, a plus fait pour le Brexit que les allocutions du Yukip. Au lieu de faire rêver, la libre circulation des personnes, ce principe-clef du droit communautaire, fait peur aujourd’hui.

C’est une certaine gestion du marché du travail, consciente et délibérée dans le cas de la Grande-Bretagne, qui a été condamnée, le 23 juin. C’est d’ailleurs une particularité du modèle économique britannique : le recours à la main d’œuvre étrangère est ouvertement conçu comme le moyen de contrôler le coût du travail.

Ce qui effraye, c’est qu’au delà de cette xénophobie de protection, on sent la protestation populaire contre ce qui est perçu, là encore à tort ou à raison, comme un changement dans la démographie et la composition ethnique des nations.  La « jungle » de Calais et la crise des réfugiés sont venues, en Grande-Bretagne, ajouter une dimension anxiogène à la protestation contre la concurrence sur le marché du travail : fantasmes d’invasion étrangère, crainte d’une perte de contrôle et, partant, comportements de rejet.  La protestation dégénère déjà en racisme, rapporte la presse anglaise1.

Si l’on admet que vote en faveur du Brexit est irrationnel sur le plan économique et que l’économie britannique en pâtira nécessairement, c’est l’indice que les réactions populaires, dès lors que la thématique xénophobe s’est installée, sortent vite du domaine du rationnel et entrent dans le domaine des passions.  Même en Grande-Bretagne…

Cela n’augure rien de bon pour la démocratie libérale, particulièrement dans les pays qui n’ont pas le même fonds culturel que la Grande-Bretagne.

Serge Soudray

A lire aussi : Jay Elwes, Why the EU vote was so nasty, Prospect 25 juin 2016

Notes

Notes
1Cet article de Slate.fr renvoie à des exemples consternants.
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