Les banques et le souci de l’environnement

Le souci de l’environnement, dans le monde de la finance, est de plus en plus partagé, quoi qu’on en dise. L’évolution s’est faite lentement depuis le début des années 70, souvent par suite de grandes catastrophes qui ont choqué les opinions publiques, et notamment les marées noires aux Etats-Unis et en France, mais elle est aujourd’hui indéniable et irréversible. Ce souci est notable dans tous les domaines de la finance, qu’il s’agisse des opérations de crédit ou des activités de gestion pour compte de tiers.

Dans le domaine du crédit, il faut le reconnaitre, ce souci est paradoxal. Par nature, le prêteur refuse de s’ingérer dans les affaires de son client, et il sait que toute ingérence pourrait engager sa responsabilité envers son emprunteur et surtout envers les tiers. Le principe dit de « non immixtion » et sa sanction, le risque de recherche de responsabilité, sont reconnus de façon explicite par la réglementation bancaire de très nombreux pays et par la jurisprudence. Le prêteur ne souhaite pas être responsable de l’emploi des fonds qu’il prête. Les conventions de crédit comportent une clause qui le rappelle : expressément, le prêteur rejette toute responsabilité quant à l’usage des fonds. Le paradoxe vient de ce que le principe de non immixtion devrait conduire le banquier à ne pas examiner si l’opération économique financée grâce à son crédit peut entrainer des conséquences préjudiciables à l’environnement, à la qualité de l’eau, à la biodiversité, à la beauté des paysages…. Cette position s’est avérée très difficile à maintenir, au moins parce que les clauses excluant sa responsabilité ne sont, en droit français au moins, pas opposables aux tiers, et qu’elle ne protège donc pas le banquier si un préjudice environnemental, dans le respect des conditions de la responsabilité civile, découle de son crédit.

C’est d’abord quand l’opération de crédit prend la forme d’un crédit-bail, quand la banque propriétaire de l’actif le donne en location à un crédit-preneur, que la question de l’environnement peut se poser.  Avec la propriété de l’actif, le banquier acquiert inévitablement des responsabilités étrangères à ses habitudes. Mais la réflexion a vite concerné les activités bancaires au-delà du modèle du crédit-bail, et s’est souvent focalisée sur ces actifs « lourds » que sont les navires, les avions ou dans un autre registre, les grands ouvrages tels les barrages.

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Le rôle moteur des banques de développement

La réflexion du monde bancaire, en matière d’environnement, doit historiquement beaucoup aux politiques conçues et promues par les banques de développement pour leurs opérations de crédit en pays émergents, ces pays dont la réglementation environnementale est parfois lacunaire et souvent peu appliquée par les pouvoirs publics locaux. Ces politiques ont inspiré des guides de bonnes pratiques. Il faut citer les Normes de performance en matière de durabilité environnementale et sociale de la Société Financière Internationale, la filiale bancaire de la Banque Mondiale, puis les Principes d’Equateur, trois fois révisés à ce jour, en 2003, 2006 et 2013. Ces Principes ne sont pas des normes de droit positif, issues d’un traité ou d’une réglementation nationale, de la hard law. Il s’agit seulement de principe quel les prêteurs sont désireux de s’appliquer à eux-mêmes spontanément, et relèveraient donc de la soft law. Il s’agit d’un code de bonne conduite.

Les Principes d’Equateur sont désormais le principal référentiel du secteur financier pour l’identification, l’évaluation, la gestion des risques sociaux et environnementaux pour les opérations de financements de projets. Ils sont acceptés par plus de 80 institutions financières de près de 35 pays, et concerne les financements de projet en pays émergents de montant supérieur supérieurs à 10 millions de dollars (USD).

Ces principes proposent aux prêteurs une méthodologie d’évaluation et d’audit des projets, avec une catégorisation des projets à financer en trois groupes (A, B et C) en fonction de leurs impacts environnementaux et sociaux. Ils imposent de prévoir, parmi les conditions du financement, des mesures d’atténuation, un « plan de gestion environnementale et sociale », et un reporting après décaissement. Sur cette base, les grandes institutions financières ont conçu les procédures administratives internes qui donnent effet à l’évaluation et au suivi préconisés par les Principes d’Equateur. Dans la plus grande banque française, par exemple, a été mise en place une procédure d’audit effectué sous l’égide de la division Financement de projet et contrôlé par l’équipe RSE de manière indépendante, avec comité spécial pour les projets classés A, les plus susceptibles d’avoir un impact environnemental.

Les Principes d’Equateur sont d’une importance capitale. Ils ont donné corps, dans le monde bancaire, au souci de l’environnement qui a gagné tous les secteurs des sociétés occidentales. Ils ont acclimaté cette préoccupation dans les structures et les bureaucraties de ces grandes organisations déresponsabilisantes que sont souvent les banques. Ils ont été le vecteur par lequel leurs Départements Développement durable ont pu entrer dans le circuit de la distribution de crédits. Au-delà de leur domaine d’application d’origine, les pays émergents, ils ont rendu légitime de se préoccuper de l’environnement pour toutes les opérations de crédit, et finalement en tous lieux.

Les Principes d’Equateur posent par ailleurs une question juridique passionnante, complexe, celle de la responsabilité du prêteur qui viole, non une norme de de droit positif, mais une obligation qu’il  a déclaré publiquement vouloir s’imposer. Sa responsabilité peut-elle être recherchée de ce fait par des tiers lésés ? La réponse variera selon les pays, mais il est de plus en plus admis par les tribunaux occidentaux qu’’il y a là un chef de responsabilité.

L’intervention du législateur

Le souci de l’environnement ne procède pas seulement, dans le monde bancaire, de codes de bonne conduite. La hard law y a sa place.

C’est d’abord l’effet des règles de la responsabilité civile. Les tribunaux français ont eu l’occasion d’appliquer les trois conditions requises (le fait, le préjudice, le lien de causalité) à l’opération d’octroi de crédit. Le droit commun de la responsabilité, est compris de façon inventive par les parties lésées et par les organisations non gouvernementales qui les conseillent parfois. Elles savent invoquer les règles classiques du droit civil pour rechercher ces deep pockets que sont les institutions financières. Le risque de condamnation à réparation du préjudice, et de toute façon le risque de réputation même si leur responsabilité est in fine écartée, ont conduit les institutions financières à se préoccuper de l’emploi des fonds qu’elles prêtent. L’évolution des esprits, l’époque ont certainement leur part dans cette évolution des pratiques ; la conscience du risque judiciaire a aussi la sienne.

Cette conscience est d’autant plus vive que les Etats ont parfois passé des lois spéciales pour aggraver la responsabilité du prêteur en cas de préjudice environnemental. On songe par exemple à l’Oil Pollution Act de 1990 aux Etats-Unis, qui dans sa version initiale rendait la banque, en qualité de crédit-bailleur, solidairement responsable avec l’armateur pour toute pollution des eaux américaines. Adoptée à la suite du déversement de 38 500 tonnes de pétrole brut sur les côtes de l’Alaska après l’accident de l’Exxon Valdez, le 24 mars 1989, cette loi du 18 août 1990 impose des règles de construction spécifiques aux navires transportant des hydrocarbures dans les eaux américaines. Du fait de la position incontournable en matière de pétrole des États-Unis, les conséquences de cette loi sont internationales. Certes, la démarche est peu commune, et peut paraitre inique. Le raisonnement sous-jacent est que la banque a le pouvoir et les moyens d’assurer le contrôle de ce que fait l’armateur, mieux que ne le ferait un organisme administratif. De fait, en shipping finance, les grands prêteurs du secteur maritime font, depuis cette loi américaine, extrêmement attention aux routes suivies par les navires qu’ils financent, au type de coques des navires…

Le souci de l’environnement et l’information extra-financière

Indépendamment du droit de la responsabilité, une évolution normative, en Europe au moins, doit être relevée : la généralisation de l’obligation de délivrer une information dite « extra-financière », et qui couvre nécessairement les questions environnementale. Elle conduit le monde bancaire à se préoccuper davantage encore des conséquences environnementales des opérations de crédit.

Il est en effet désormais imposé aux entreprises de révéler les grands traits et les  conséquences de leurs activités dans un rapport de synthèse auquel le public peut avoir accès, dès lors que sont en jeu des critères dits parfois « ESG », qui correspondent aux questions environnementales, sociales et aux questions de gouvernance.

Dans l’Union européenne, en vertu de la Directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 (directive relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises)1,  les sociétés cotées, les banques et compagnies d’assurance, et les entreprises de plus de plus de 500 salariés sont appelées à communiquer dans leurs rapports de gestion des informations utiles sur leurs politiques, les principaux risques liés et les résultats obtenus en ce qui concerne au moins, outre les questions sociales et de personnel, le respect des droits de l’homme, la lutte contre la corruption…, les aspects environnementaux.

La directive laisse aux entreprises une grande marge d’appréciation pour la communication des informations utiles. Elles sont également libres d’utiliser les lignes directrices internationales, européennes ou nationales (Pacte mondial des Nations unies, principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, norme ISO 26000, etc.).

Cette politique tendant à réclamer aux entreprises, et notamment aux établissements de crédit, une information extra-financière couvrant aussi les aspects environnementaux est relativement ancienne en France. La loi sur les « Nouvelles régulations économiques » -dite « loi NRE »-, adoptée en 2001, avait déjà exigé des entreprises cotées qu’elles présentent des rapports extra-financiers dans le domaine social, environnemental et de gouvernance. En 2009 et 2010, deux lois dites « lois de Grenelle », avaient rendu obligatoire la production d’un rapport annuel sur les questions de Responsabilité sociale des entreprises, la fameuse « RSE », pour toutes les grandes entreprises exerçant des activités en France. Ce mouvement est désormais généralisé dans toute l’Union européenne.

En France, l’article L. 225-102-1 du Code de commerce dispose aujourd’hui que le rapport de gestion « comprend également des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité, incluant les conséquences sur le changement climatique de son activité et de l’usage des biens et services qu’elle produit, ainsi que sur ses engagements sociétaux en faveur du développement durable, de l’économie circulaire et en faveur de la lutte contre les discriminations et de la promotion des diversités. »2.

Sous-jacente à cette obligation de délivrer une information extra-financière, il y a une théorie bien connue des organisations non gouvernementales et endossée aujourd’hui, de fait, par les institutions communautaires et les pouvoirs publics : le name and shame. Cette information extra-financière, au-delà des dimensions judiciaires éventuelles, doit permettre à la société civile d’interpeller publiquement les entreprises. Sur un plan plus judiciaire, les divulgations opérées dans les rapports d’information extra-financière peuvent aussi alimenter des recherches de responsabilité.

Pour les entreprises du monde bancaire prises dans le champ d’application de ce texte, c’est donc l’occasion de révéler les conséquences environnementales de leurs activités, et au premier chef, les conséquences sur ce plan de leur politique de crédit. Le souci bien compris de leur réputation est censé les conduire à des comportements plus vertueux, soit de nature négative (ne plus financer d’activités industrielles sources de pollution), soit de façon positive (financer le secteur de la cleantech, celui des énergies renouvelables…).

Le monde bancaire a donc désormais, de façon nette et irréversible, le souci de l’environnement, du moins en ce qui concerne les banques occidentales car les grandes banques chinoises, qui comptent parmi les plus grandes banques du monde, ne sont pas encore engagée dans cette voie. Il en vient au moins deux conséquences.

Les banques occidentales ont désormais, même au-delà du domaine des pays émergents qui ont justifié les Principes d’Equateur, des pratiques contractuelles qui témoignent de leur objectif de préserver voire d’améliorer l’environnement. Elles imposent aux emprunteurs des conditions liées à l’environnement au stade de la conclusion du crédit et de son décaissement effectif ; elles peuvent procéder à des audits des projets financés et obtiennent des engagements de l’emprunteur quant à son comportement envers l’environnement.

Elles conçoivent et mettent en avant aussi, deuxième conséquence, des stratégies bancaires qui favorisent expressément certains secteurs dont l’impact sur l’environnement est positif, souvent avec un souci de différenciation marketing et publicitaire, mais aussi avec de vrais effets sur les secteurs auxquels elles proposent des crédits. Cette tendance peut confiner au greenwashing ; elle a cependant des effets qui ne sont pas seulement d’ordre publicitaire.  On annonce ainsi en ce mois de juin 2016 que la Caisse des dépôts et consignations a signé une convention-cadre avec les offices d’HLM pour mettre en place des crédits finançant la transition énergétique.

Bien évidemment, cette évolution est critiquée par certains emprunteurs, qui jugent les contraintes que leur imposent les banques lourdes et coûteuses à respecter, notamment lorsqu’ils doivent fournir des études d’impact environnemental. On sait que de nombreux pays émergents critiquent les exigences des institutions du groupe de la Banque Mondiale, par exemple quand il leur est demandé de financer un barrage ou une centrale thermique… Cette évolution pose aussi la question du financement des activités polluantes mais encore nécessaires à l’activité de nos sociétés, dont on ne voudrait pas qu’elles soient par défaut financées par les banques de pays où le souci de l’environnement est moindre, voire inexistant…

Néanmoins, l’environnement, les conséquences d’un projet sur la qualité de l’air, de l’eau, la biodiversité… sont désormais des critères connus des comités de crédit et un aspect inévitable de la décision finale.

Stéphan Alamowitch

Stéphan Alamowitch, avocat au Barreau de Paris, est spécialisé en droit bancaire et financier.

Notes

Notes
1Directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises, modifiant la directive 2006/43/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE (directive 2013/34/UE), modifiée par la directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes (directive 2014/95/UE).
2Un cran plus loin : une proposition de loi en cours d’examen à l’Assemblée nationale imposerait bientôt aux grandes entreprises, et donc aux banques, un devoir de vigilance sur les conséquences de leurs activité, y compris en matière environnementale ; elles devront établir un « plan de vigilance », qu’il  faudra décrire dans un rapport public.
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