Quand un historien aussi respecté que Robert Paxton, dans les derniers jours de 2020, considère que le pouvoir de Donald Trump est proche du fascisme, il est évidemment permis de s’interroger sur la nature des événements du 6 janvier et de comparer les manifestants avec les foules fascistes des années 30.
Les parallèles sont possibles, mais il reste que les images de la tentative de prise du Capitole ne correspondent pas au spectacle que donnaient, avant-guerre, les bataillons de fascistes, de nazis, de phalangistes…, et l’on songe par exemple à la Marche sur Rome d’octobre 1922.
Le 6 janvier 2021, les manifestants étaient en tenue de ville, celle qu’ils ont quand ils vont chercher un hamburger, ou alors ils étaient hirsutes, dépenaillés, ou encore affublés de costumes bizarres, venus de l’imagerie du Far West ou de l’Heroic Fantasy. Une bonne partie des comportements ont paru relever de la bouffonnerie. La fantaisie individuelle, teintée de joie mauvaise, l’emportait sur le souci d’efficacité tactique. Il y avait bien certains petits groupes à l’accoutrement paramilitaire, mais finalement assez peu pour un projet qui aurait justifié discipline de fer et vêtements de combat.
Ce qui précède, disons-le tout de suite, ne cherche pas à rendre sympathique un mouvement dont la violence et le racisme ont effrayé une bonne partie de l’opinion américaine. Dans le lot, il y avait de vrais fascistes, des héritiers du Ku Klux Klan, des adeptes du Wotanisme, et le FBI aura bien du travail ; mais ils n’ont visiblement pas constitué la majorité des manifestants, seulement sa pointe la plus extrême et qui a échoué à entrainer la foule et le pays entier, à supposer qu’elle l’ait voulu.
En fait, là où sur le modèle fasciste, on se serait attendu à une organisation paramilitaire, à des attitudes et à des apparences de milices factieuses, à des chefs de sections, de squadri, prêts à exécuter le plan du Chef, on a vu une parade désordonnée de milliers de libertariens, réactionnaires, certainement racistes, mais aussi foncièrement individualistes, d’un individualisme débridé, irrationnel puisqu’il va jusqu’à refuser les consignes sanitaires appelées par le COVID1. Or le fascisme est tout sauf individualiste. Il aime l’ordre, et de préférence l’ordre militaire, la hiérarchie et le respect des consignes. Au lieu de SA ou de SS, le 6 janvier, nous avons vu le visage dégénéré et patibulaire de centaines de mauvais Davy Crockett, agités et finalement peu efficaces.
La deuxième différence avec les fascistes d’avant-guerre, toutes branches confondues, c’est que les factieux du 6 janvier, dans leur majorité, n’en voulaient aucunement à la démocratie. C’est au nom du principe démocratique et du suffrage universel qu’ils ont monté les marches du Capitole, afin de paralyser ce qu’ils considéraient comme le vol de l’élection présidentielle. Dans leurs conceptions insensées, dans le monde parallèle qu’ils se sont construit, ils sont les vrais démocrates et ils ont gagné l’élection. Ni Mussolini ni ses troupes n’avaient le moindre respect pour la démocratie et le suffrage universel ; la légitimité ne vient pas de l’élection dans cette fraction de l’extrême-droite. Les manifestants du 6 janvier se prenaient probablement plus pour Mel Gibson dans The Patriot, avançant le drapeau à la main au-devant des troupes anglaises, en lutte contre la tyrannie du roi George, que pour Horst Wessel, ce jeune fantassin du nazisme tué dans une bagarre en 1932. Les images sont parlantes.
Troisième différence : les marches fascistes étaient le fait de mouvements naissants, soucieux de se montrer implacables et brutaux afin d’impressionner les vieux partis de gauche et de droite. Les manifestants du 6 janvier avaient peut-être l’objectif de montrer leur force, leur détermination, mais ils l’ont poursuivi bien mollement, cet objectif, une fois le Capitole en partie investi, et la sortie s’est faite sans grands heurts après des milliers de selfies commémoratifs. Dans la joie d’avoir réussi leur mauvais coup, beaucoup ont emporté un souvenir, un pupitre, des papiers, un ordinateur…, comme des touristes qui finiront par rentrer chez eux dans l’Arkansas ou le Tennessee. Compte tenu du nombre d’anciens militaires parmi les manifestants et des armes qui circulent sans contrôle, on se serait attendu à plus de détermination et à plus de violence, à un Capitole transformé en camp retranché, dans l’attente, totalement folle, mais ces gens sont fous, que le pays se soulève en faveur de Trump.
Parions que pour beaucoup d’entre eux, la manifestation avait le charme d’une dernière protestation publique, au moment où leur monde parallèle devait fatalement s’écrouler2. Contre le retour inéluctable à la réalité, juste avant, c’était la dernière parade, le baroud d’honneur pour clore un cycle commencé en novembre 2016 – une dernière joie.
Si ceci est juste, cette insurrection de petites gens désorientées, d’imbéciles et d’ignorants ne devraient pas avoir de vraie suite. Espérons-le, en tout cas.
Serge Soudray
Notes
↑1 | Individualisme exacerbé, fou qui est typique des Etats-Unis, même s’il est présent ailleurs (mais plus par imitation). |
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↑2 | La police a trouvé des explosifs et des armes, mais finalement peu, et la violence de la manifestation est restée mesurée, contenue par rapport aux manifestations parisiennes de Gilets Jaunes, avec leurs cocktails molotov, leur tentatives de lynchage de policiers et les tirs de LBD. |