On l’a beaucoup remarqué : hors les extrêmes, les partis d’opposition font profil bas dans cette crise sanitaire, soucieux de ne pas sembler approuver Emmanuel Macron et le gouvernement, de peur de se couper des électeurs anti-vaxx ou anti-passe, soucieux aussi à de ne pas alimenter ce qui est à maints égards une révolte anti-science. Il en est de même des autres corps intermédiaires, cet ensemble flou qui regroupe toutes les institutions privées ou publiques qui assurent, face à l’Etat, l’organisation, la régulation et la représentation d’une profession, d’un secteur ou d’une activité.
Partis et CSA, bien mal inspirés
Pour les partis, le Parti socialiste fait diversion en souhaitant une obligation vaccinale généralisée, avec des termes qui en font une déclinaison hypocrite du passe sanitaire, et la droite classique est dans l’ensemble tout aussi prudente. Les messages du PS comme ceux des LR sont balancés pour déplaire au moins de monde possible, sinon plaire à tout le monde. Le même constat peut être fait pour les centrales syndicales, discrètes elles aussi, et qui laissent trop souvent certains de leurs échelons intermédiaires ajouter à la confusion et la désinformation. Tel leader à droite ou à gauche parle de dictature parce qu’il est institué un passe sanitaire, ce qui est puéril, en oubliant que la philosophie libertarienne (« ma liberté, ma loi ») n’est pas dans la tradition politique française, ni à droite ni à gauche – ce serait plutôt « la liberté par la loi ». Un cégétiste a pu dire en direct que le vaccin Pfizer avait fait 700 morts, ce qui est faux. C’est que partis et syndicats comptent des anti-vaxx et anti-passe dans leurs rangs et dans leur électorat potentiel. Il ne faut s’aliéner personne, apparemment.
Un CSA timoré
On doit en dire autant d’autres institutions intermédiaires, hors du jeu politique proprement dit. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel n’a pas cru utile de rappeler à l’ordre les dirigeants de chaines d’information en continu pour laisser inviter des agitateurs anti-vaxx, quand elles ne demandent pas aux leaders Gilets Jaunes les plus atterrants, objectivement atterrants, leur avis sur la vaccination. Aucun rappel à l’ordre du CSA quand elles tendent de façon complaisante le micro à des aides-soignantes qui ont perdu le sens commun, et qui ont probablement un ressentiment à exprimer devant l’institution hospitalière. C’est pour les temps de parole aux Régionales et son penchant pour l’extrême-droite que CNews a eu droit à un rappel à l’ordre de la part du CSA, pas pour le COVID. BFM TV a dû s’excuser publiquement après les propos « mensongers » de soignants invités sur son plateau, mais sans que le CSA ne souligne que la qualité et les orientations des intervenants auraient dû être vérifiés avant !
Le CSA analyse régulièrement l’audience et le marché publicitaire en temps de COVID, mais il paraît oublier que la loi du 30 septembre 1986 inclut la protection de la santé publique dans ses attributions. Tout au plus faut-il mentionner le rappel à l’ordre de LCI en avril 2020 après des propos qui conseillaient de lancer en Afrique des expériences sur l’homme au mépris de tout principe. C’était bien le moins.
Le président du CSA a, depuis douze mois au moins, largement de quoi convoquer les dirigeants des chaines d’information en continu ou leur adresser des mises en garde publiques à but préventif. La régulation d’un secteur se fait au regard de compétences et de pouvoirs définis par la loi, peut-être insuffisants si on choisit de les lire sans imagination, mais aussi en considération de l’intérêt général et des urgences sociales, du moins quand le régulateur a un sens quelque peu exigeant de sa mission. Certes, devant le Sénat en décembre 2020, le président du CSA avait annoncé qu’il allait réunir les chaînes d’information pour tirer les « enseignements » de la couverture de la crise. Huit mois après, on n’en sait pas plus, et pourtant la situation appelle – qui en doute encore ? – plus qu’une concertation policée et inutile, et qui plus est à portes fermées.
Un Barreau aux abonnés absents
Pour les ordres professionnels, le constat reste le même : alors que des avocats pour certains disons poliment… très excentriques s’expriment sur les chaines d’information en continu ou sur les réseaux sociaux en disant à proprement parler n’importe quoi, il n’y a eu à ce jour aucune intervention publique du Conseil de l’Ordre ou du Bâtonnier de Paris, et probablement non plus aucune intervention officieuse. Là encore, c’est un silence coupable quand l’intérêt général est en jeu. Moins timoré, le Conseil National de l’Ordre des médecins, saisi par les conseils départementaux, a sanctionné certains praticiens, tels le professeur Perronne et quatre autres médecins, pour des propos qui étaient autant de fake news ou de positions irresponsables, mais avec un certain retard et sans assez de vigilance pour les autres dérapages. Compte tenu de l’atonie des autres corps intermédiaires, on lui en saura néanmoins gré. On mettra aussi au crédit du corps médical toutes ces réponses sérieuses, argumentées, faites spontanément sur les réseaux sociaux par des médecins généralistes, des spécialistes ou par les professeurs de médecine quand circulent des fake news naïves ou malveillantes.
Il ne s’agit pas prôner une censure par les notables, par l’establishment institutionnel, et moins encore d’interdire le débat public, et de toute façon les décisions des régulateurs et des ordres professionnels sont susceptibles de recours devant les tribunaux – ce qui écarte le risque d’arbitraire. Il s’agit de faire que ces corps se saisissent de cette vieille problématique, la vérité, menacée par le relativisme et la subjectivité militante, quand ce ne sont pas des trolls russes. Un corps intermédiaire public ou privé, dans son domaine propre, a des devoirs à l’égard de ce qui est manifestement vrai ou manifestement faux, l’adverbe est important, et en tout premier lieu dans les situations d’urgence sociale. C’est bien la moindre des choses qu’il fasse barrage, sous le contrôle des tribunaux si besoin, aux fake news qui sont diffusées dans ou à partir de sa sphère de compétence. Il est tellement simple d’abdiquer ses responsabilités civiques et d’attendre que tout passe.
Stéphan Alamowitch
PS : on fera une exception pour l’Eglise catholique et les autres grandes confessions qui, en France au moins, ont toutes appelé à la vaccination.