C’est un film désolant que donne Arnaud Desplechin, pourtant l’un des cinéastes les plus doués de sa génération avec Jacques Audiard et Philippe Faucon.
Une sœur déteste son frère au point de ne plus vouloir le rencontrer quand leur deux parents sont victimes d’un accident et finissent à l’hôpital. Elle le hait. Alice, jouée par Marion Cotillard (excellente), est une actrice de théâtre célèbre qui a toujours fait l’admiration de ses parents. Louis, son cadet (Melvil Poupaud, jamais loin du sur-régime), est un écrivain qui a connu le succès sur le tard, et qui s’en prend littérairement à sa sœur, dans des termes que Desplechin ne se soucie pas d’évoquer. Pour des raisons qui restent quasiment toujours obscures, Alice hait son frère, et par bribes de dialogue, Desplechin laisse imaginer un passé fait de jalousie et d’agressions réciproques, sous le regard d’une mère qui a dominé son mari et probablement peu aimé son fils. Les personnages restent donc lointains, séparés du spectateur par un paroi de verre, dans un drame familial qui suit le fil de Contes de Noël (2008)1. On les voit se détester mais sans les comprendre. Il y aurait un parallèle à faire avec les personnages de Jean-Luc Lagarce, ceux qui renouent avec la famille qu’ils ont fuie, mais avec un poids de drame plus convaincant que dans Frère et Sœur.
Cette haine donne lieu à de fortes scènes, par l’intensité dramatique (notamment la scène d’ouverture quand Louis qui vient de perdre son jeune fils s’en prend à sa sœur) ou par les lieux choisis, souvent inattendus (une vallée des Pyrénées, une grotte préhistorique…), les situations incongrues (Patrick Timsit à cheval…). Les passages au théâtre où joue Alice, puis à l’hôpital quand le père et la mère tentent de survivre, au cimetière quand ils sont enterrés… tout est brillamment filmé, et chaque scène, prise isolément, est une nouvelle preuve du grand talent d’Arnaud Despléchin, s’il en fallait encore, de sa manière2. Mieux que beaucoup d’autres, Desplechin excelle à inscrire ses éléments de fiction dans des lieux, dans des acteurs qui peuvent captiver le spectateur, et c’est peu dire que Desplechin a la maitrise esthétique de son matériau.
Mais c’est peu dire aussi qu’il n’a pas la maitrise intellectuelle de ce qu’il filme, malheureusement, et probablement est-ce (l’idée en vient assez vite) parce qu’il en a peur. Le fond qui fait surface confusément à la fin du film, c’est le désir incestueux, mais Desplechin qui sait le signaler de loin, de biais, ne sait pas le filmer. Il lui faut deux scènes de traviole pour l’aborder, celle de la synagogue quand il est fait rappel de la Loi3, et celle de la chambre, presque à la fin, quand le frère et la sœur restent quasi-nus à se réchauffer. C’est dans cette chambre qu’ils « énoncent » le désir, mais sur un mode qui le renvoie au virtuel, pour le mettre à distance, au passé… Les deux scènes sont ratées. Elles ne sont appelées par rien et ne conduisent nulle part. Tout juste sont-elles le signe de ce qui tracasse le cinéaste, le désir et son interdit, et qu’il ne sait pas évoquer sinon de travers. Il ne s’agit pas ici de finesse ou du choix d’un mezzo voce, subtil et discret ; il s’agit d’un évitement. Le spectateur sort en se disant que dans ce film, la névrose n’a pas su trouver son récit.
Stéphan Alamowitch
Frère et Sœur, film français d’Arnaud Desplechin. Avec Marion Cotillard, Melvil Poupaud, Golshifteh Farahani, Benjamin Siksou, Patrick Timsit (1 h 48)
Notes
↑1 | Les noms, les lieux. |
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↑2 | Et il faut bien dire qu’on n’est pas toujours loin du maniérisme au sens classique du terme, avec ces citations et ces allusions, verbales ou visuelles, ce goût du théâtre, tout le long du film. |
↑3 | Il y aurait un article à écrire sur le thème juif dans les films de Desplechin, souvent artificiel, malvenu, et c’est bien le cas ici. |