Quand les classes populaires se vengent d’Emmanuel Macron

Emmanuel Macron essayant de parler aux sourds

Il est difficile de ne pas conclure en ces termes : aux législatives qui se termineront dimanche prochain, les classes populaires vont obtenir leur revanche contre Emmanuel Macron. Les sondages montrent que le Rassemblement national est majoritaire dans la jeunesse populaire, les ouvriers, les employés et globalement dans le monde du salariat d’exécution et parmi les travailleurs indépendants. Les sociologues aiment bien signaler la dimension géographique de cette réalité, et parlent de la ruralité, du péri-urbain… Ce n’est pas faux, mais la vraie dimension est sociale. Viennent de s’exprimer les groupes sociaux auxquels le centre incarné par Emmanuel Macron n’a jamais su s’adresser, groupes dont d’ailleurs provenait l’essentiel des Gilets jaunes de 2018.

Pourquoi cette fracture ? Ces groupes ont le sentiment que la politique économique menée et globalement l’orientation générale du macronisme ne servent pas leurs intérêts, qu’ils sont laissés seuls face à l’inflation, au renforcement des métropoles et aux nécessités de décarboner l’économie. Ils ont aussi, et ce point ne peut être oublié, le sentiment qu’ils sont laissés seuls face à l’immigration, qu’ils en aient une expérience directe ou qu’elle relève pour eux du fantasme, faute d’immigrés dans les zones qu’ils habitent. On ne les comprend pas, pensent-ils, on ne les aime pas. Ce n’est pas tant qu’Emmanuel Macron vienne d’un autre monde mais, ils le sentent, c’est qu’il parle à un autre monde.

À tort ou à raison, tout ce qui a pu incarner le macronisme heurte leurs valeurs et est une source d’irritation, quand ce n’est pas considéré comme une insulte à ce qu’ils sont. Ceci explique la dimension personnelle, déplaisante à constater mais manifeste, de l’hostilité à Emmanuel Macron dans ces groupes, leur hargne envers lui1. La violence avec laquelle a été réprimé le mouvement des Gilets Jaunes2 a aussi laissé des souvenirs qui ont certainement joué dans les choix électoraux des classes populaires.

À l’inverse, le Rassemblement national a su leur proposer un candidat très jeune, qui incarne à sa façon une forme de réussite et d’excellence en laquelle ces classes populaires se reconnaissent davantage qu’en un personnage d’inspecteur des finances parisien, étranger à leur expérience sociale, à leurs difficultés – du moins est-ce ressenti ainsi. Elles ont choisi leur propre petit Macron, ou mieux leur propre Gabriel Attal, ce Jordan avec son allure de gendre pour noce de village. Les sociologues diront ces choses-là avec leurs mots.

Il entre dans cette hostilité une part d’injustice, parce que la politique économique d’Emmanuel Macron n’a pas échoué comme celles des pouvoirs précédents, et qu’elle a surtout fait disparaître le chômage de masse. Mais elle y est parvenue par une politique d’incitation au retour à l’emploi de nature libérale, de workfare, qui comporte une pointe d’insulte envers les classes populaires, ce qu’elles n’ont pas manqué de relever. On ne se fait pas aimer du peuple quand on impose la flexibilité salariale au nom des principes de la micro-économie. On se rappelle les fortes phrases d’Emmanuel Macron sur le travail qui existe de l’autre côté de la rue et quelques autres du même acabit. Juste avant les européennes (coup de génie), le dernier projet de réformes de l’assurance-chômage a du être l’insulte de trop, et Gabriel Attal vient de le suspendre sine die – sans l’autorisation du président, dit-on.

Des classes hermétiques à l’Orléanisme 2.0

La rupture s’est faite dès le début. Le macronisme a ostensiblement accordé aux élites économiques un rôle éminent. Leur dynamisme, le ruissellement dont elles devaient être la source étaient censés permettre le retour à la croissance, à la prospérité pour tous. Le peuple devait suivre et se réjouir du succès des premiers de cordée.

C’est la formule même de l’Orléanisme, celui de Guizot, celui qui fait confiance aux grands intérêts économiques, qu’Emmanuel Macron a mâtinée de start up nation pour correspondre à l’époque. Cette conception est ancienne mais elle est toujours restée mineure dans la tradition française. Elle n’a trouvé d’écho parmi les classes populaires ni en 2017, ni en 2022, ni en 2024. On s’en serait douté. Les classes populaires, qui se sont depuis longtemps éloignées de la gauche, dont les valeurs correspondent aux classes moyennes et spécialement à celles du secteur public, n’ont pas voulu du dynamisme juvénile d’Emmanuel Macron, associé dans leur esprit à une bourgeoisie d’affaires égoïste et arrogante, cosmopolite selon les mots troubles du Rassemblement national. Elle préfère le retour à une France simple, compréhensible.

Affiche de 1943

Ces dernières années, Nicolas Sarkozy est le seul qui ait su, depuis la droite, parler aux classes populaires. Sa communication tapageuse lui a valu une écoute et une adhésion, comme Bernard Tapie en son temps. Ses thèmes, la défiscalisation des heures supplémentaires, son « travailler plus pour gagner plus », ses prises de position contre l’ « assistanat » et l’immigration, tout cela lui a valu un appui qu’Emmanuel Macron n’a jamais obtenu, dont il a rêvé au point d’en demander le secret à son prédécesseur.

Pour notre malheur, les classes populaires ont aujourd’hui endossé la cause d’un parti d’extrême-droite à l’histoire caricaturale. Ce nouveau rapport au peuple lui permet de jouer aux « patriotes » et de faire oublier l’indignité dans laquelle il était tenu depuis 1945 et depuis l’attentat du Petit-Clamart. Pour notre malheur également, ce parti est complaisant envers la Russie de Vladimir Poutine, et il faut désormais craindre un sabotage des positions internationales de la France.

Ceci n’est pas sans rappeler, dans un contexte évidemment différent, ce que le pétainisme a pu être en son temps  : la solution aux malheurs du temps par une politique d’exclusion de certaines catégories de la population, le mépris pour les libertés publiques, la déférence pour une puissance étrangère au nom d’affinités idéologiques – déférence qui peut dégénérer en connivence.

Une population effrayée, mal pourvue en concepts, aveuglée3 vient de succomber, et de passer de la colère sociale au néo-pétainisme. Il y a tout lieu de s’en désoler.

Serge Soudray

A lire aussi dans Contreligne : Emmanuel Macron et les classes absentes (février 2023)

Notes

Notes
1Et dont témoignaient les propos invraisemblables de haine du député LFI François Ruffin, pourtant pas le pire du lot.
2Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il tant tardé à remplacer l’épouvantable préfet Lallement ?
3Emmanuel Macron ne se repentira jamais assez de n’avoir eu aucune politique de réforme des médias en 7 ans : contrôle des concentrations, défense du pluralisme, renforcement de l’Arcom…Le piège Bolloré a parfaitement fonctionné.
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