Constat
Comme on pouvait s’y attendre, aucun des trois blocs de l’Assemblée nationale n’est en mesure de former une majorité parlementaire, et aucun ne peut proposer un gouvernement à son image. Le Nouveau Front Populaire s’y essaye, malgré ses contradictions, et sa dernière candidate peine à expliquer l’idée saugrenue de gouvernement minoritaire, réformant par décrets. La droite républicaine voudrait inventer sa propre formule, de concert avec le centre, mais on ne voit pas comment ils atteindraient les 289 députés qui font une majorité. Le Rassemblement national est isolé, premier parti en voix, minoritaire en sièges, et dépourvu de tout allié.
L’évidence, pour les observateurs, pour la presse étrangère, est pourtant sous nos yeux : il faut une négociation entre blocs, du moins entre les fractions de ces blocs qui seraient compatibles, pour former une majorité, avec négociation d’un programme de coalition minimum mais sérieux. Le but serait d’aller jusqu’aux prochaines législatives et d’éviter une victoire du RN. Le Front républicain des élections devrait se transformer en gouvernement de Défense Républicaine, et ce n’est pas un hasard si on rappelle ici et là le nom de Waldeck-Rousseau.
Par défaut, Emmanuel Macron reste en position d’imposer la solution bringuebalante d’un gouvernement de gestion des affaires courantes et de temporiser. Elle lui donne l’illusion de contrôler encore les destinés du pays. Il peut remercier La France Insoumise d’insister sur son droit à appliquer tout le programme du NFP. Programme dont on apprend qu’il a été fait de bric et de broc, et que son volet économique était une plaisanterie1. Par comparaison, Emmanuel Macron passe pour sage et raisonnable, pour respectueux des tendances profondes de l’électorat. Cadeau inespéré, immérité !
Travail de deuil et nouvel acte
Ce premier acte relève du travail de deuil. Il faudrait en venir au deuxième, dans lequel chaque bloc reconnaîtrait qu’il est dans l’incapacité de former une majorité seul2. Mais quel élu a aujourd’hui la culture historique, la lucidité qui lui permettraient de se hausser au niveau des circonstances ?
Le Parti socialiste est prisonnier d’une histoire trop longue et d’une culture poussiéreuse3. On y frémit encore au souvenir de l’Union de la gauche, et on se contente d’un projet de Tax & Spend caricatural. La droite républicaine s’est rétrécie : elle oscille entre le déclinisme le plus mécanique, comme l’illustre Nicolas Baverez chaque semaine dans ses chroniques, et une politique platement bourgeoise qui refuse les hausses d’impôts et alerte sur le niveau de la dette avec une régularité de coucou suisse. Le centre macroniste ne s’est pas illustré ces sept dernières années par la qualité de ses propositions, effet probable du centralisme présidentiel.
Ce n’est donc pas dans l’establishment de la gauche, de la droite ou du centre qu’on trouvera une réflexion, pour prendre les sujets de l’heure dans le désordre, sur la régulation des médias, l’exercice de la police en quartiers difficiles ou la promotion de nouvelles couches (pour reprendre une formule de Gambetta qui correspond parfaitement à la situation actuelle). On n’y trouvera même pas une réflexion sur la décentralisation, malgré la conscience désormais partagée que les deux réformes de François Hollande furent ratées. Nos partis historiques sont fatigués, et à part Jean-Luc Mélenchon, on ne peut même pas dire que leurs dirigeants se signalent par un grand sens tactique. Dans des registres différents, Laurent Wauquiez, Edouard Philippe ou Raphaël Glucksmann sont décevants, et d’ailleurs ils s’expriment très peu en ce moment. Quant au Président de la République, sa dissolution l’a déconsidéré.
Quand pourrait-il commencer, ce deuxième acte ? Probablement quand sera proposée une plateforme de gouvernement, non par les élus de gauche les plus connus, non par un apparatchik quelconque, mais par une personnalité suffisamment respectée pour qu’on l’écoute, une personnalité de gauche puisque, si on laisse de côté le RN, c’est elle qui compte le plus de députés. Cette plateforme serait une liste de thèmes sur laquelle les partis de la droite républicaine et de la gauche de gouvernement auraient à prendre position, avant de négocier de vraies mesures et de désigner des ministres. Ceci exclut le RN et LFI, partis qui refusent l’idée de coalition et les compromis qu’elle implique. Focalisés sur la prochaine présidentielle, ils n’ont aucun intérêt à participer à un gouvernement de coalition, et prendre ainsi le risque de désorienter leurs bases électorales, aussi naïves qu’elles sont radicales.
Nous n’en sommes pas là, il faut le reconnaitre. Personne ne sait quoi faire. On en est à attendre un Deux ex machina.
Serge Soudray
Notes
↑1 | Pas la première fois que les programmes économiques de gauche servent d’appeaux à électeurs et finissent au fond des tiroirs. |
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↑2 | Observons que c’est au NFP que le deuil paraît le plus difficile. Il impliquerait une rupture franche du PS avec LFI, et rendrait visible ce constat que les appareils de gauche veulent dissimuler : il existe deux gauches irréconciliables. C’est la crainte du schisme qui paralyse les élus comme une grande partie des militants. L’unité de la foi est une concept socialiste. |
↑3 | Gérard Grumberg, Olivier Faure est dans la droite ligne du socialisme français, Telos,12 juillet 2024. |