Un jeune économistre français en poste à Washington a suivi le premier jour de la grande convention démocrate qui doit investir Kamala Harris, le jeudi 22 août 2024 à Chicago. Il nous livre ses impressions en toute subjectivité.
La première des quatre journées de la Convention Nationale du Parti Démocrate, qui se tient à Chicago du 19 au 24 août 2024 et qui doit consacrer jeudi la candidature de Kamala Harris et de Tim Waltz, a été construite comme un hommage à la présidence Biden, et comme le moyen de rappeler le triste état dans lequel Trump a laissé l’Amérique en 2020, surtout après l’insurrection du 6 janvier. La ligne est claire et tout parait conçu avec soin, même si l’on peut avoir quelques regrets de nature esthétique.
Unité et droit des femmes
Au cours d’une cérémonie de plus de 4 heures, le Parti Démocrate a fait défiler des élus de tous les Etats et de toutes les générations, des syndicalistes et des citoyens engagés dans les luttes du moment, ainsi que quelques figures connues de la télévision et de la chanson. La liste des élus témoigne de la capacité des démocrates américains à marquer leur unité, avec des représentants de la vieille garde, tel ce sénateur de plus de 70 ans issu d’un bastions démocrate, mais aussi des figures progressistes comme Alexandria Ocasio-Cortez ou des élues toutes récentes mais à la popularité déjà virale, telle Jasmine Crockett du Texas.
Cette manifestation d’unité a culminé avec l’intervention de Hillary Clinton, centrée sur le combat politique que doivent toujours mener les femmes américaines et le signe fort que serait, pour la première fois, une femme présidente. Continuant le sillon de sa campagne de 2016, Hillary Clinton s’est ainsi démarquée des autres discours, qui insistaient beaucoup moins sur cette nouveauté que serait une femme présidente des Etats-Unis.
Il apparaît évident que la question de l’avortement sera au centre de la campagne démocrate. La plupart des élus ont souligné dans leurs discours la régression pour les droits des femmes qui vient du renversement de la jurisprudence américaine sur l’avortement. C’était pour eux l’occasion de rappeler que la nouvelle présidente aurait la possibilité de nommer des juges à la Cour suprême, et donc de bousculer la majorité ultraconservatrice actuelle. Dans une séquence possible uniquement aux Etats-Unis, trois femmes venant d’Etats républicains sont ensuite montées à la tribune raconter leur expérience terrible depuis que l’accès à l’avortement s’est restreint, décrivant le danger de devoir mener à terme une grossesse non viable et engageant le pronostic vital de la mère, la douleur d’une fausse couche non prévenue, et l’horreur de devoir faire face, à 12 ans, à une grossesse issue de viols par un beau-père incestueux.
Des emploi pour la Middle Class
L’autre grand sujet de cette première soirée fut l’emploi et la défense des classes moyennes salariées. Nombreux furent les représentants syndicaux de l’industrie et de la santé à rappeler les engagements et les réussites du président Biden, c’est-à-dire la protection des droits syndicaux, le retour des emplois industriels et la recherche d’une économie plus favorable aux classes moyennes. Dans une intervention dont la rage contenue tranchait avec le ton des intervenants précédents, le président du syndicat des travailleurs de l’automobile s’en prit même très violemment à la corporate greed (l’avidité des entreprises), aux républicains et surtout à Donald Trump, accusé d’être un « jaune » briseur de grèves. L‘objectif était évidemment d’associer Kamala Harris au solide bilan économique de Joe Biden, alors qu’elle n’est pas connue pour son intérêt pour les sujets économiques, ayant construit sa carrière politique sur son expérience de procureur au sein du système judiciaire californien. Afin de contourner cette difficulté et de donner de la chair à la figure de Kamala Harris, qui reste assez méconnue des américains, les intervenants insistaient ad nauseam sur ses racines dans la middle-class.
La première soirée rendait visible la contradiction inévitable entre la nécessité de remobiliser la base démocrate traditionnelle et celle d’ouvrir la campagne Harris-Waltz aux électeurs indépendants. Pour la dépasser, il y eut donc successivement des interventions de syndicalistes critiquant durement Trump, ligne démocrate classique, puis celle plus consensuelle du coach de l’équipe masculine de basketball médaillée à Paris, Steve Kerr, sur le besoin d’unité nationale derrière le leadership de Kamala Harris.
Le clou de la première soirée fut le discours extrêmement combattif de Joe Biden, loin des errements de ces derniers mois. Introduit sur scène par sa femme et sa fille dans une grande effusion d’amour familial, Biden fut longuement ovationné au cri de « We love Joe ». Rappelant ses succès économiques et rappelant surtout les dangers que constituent Trump et ses partisans, responsables de la marche de Charlottesville et de l’attaque du Capitole, il a probablement fait là sa dernière grande intervention politique. C’est sans s’appesantir sur son retrait que Joe Biden a rappelé qu’il soutenait pleinement la candidature de Kamala Harris. Intervention puissante qui fut bien accueillie par le public et les speakers, sans que personne n’exprime de regrets de le voir se désister.
Pour terminer sur une note d’horreur, il est difficile de ne pas saigner des yeux devant le styles des intervenants : costumes trop serrés ou flottants, matières synthétiques, cravates trop petites ou mêmes cravates noires sur costumes noirs… Cette première journée atteste qu’après Joe Biden auquel on reconnait une vraie prestance malgré son âge, l’élégance masculine a disparu aux Etats-Unis du paysage politique1. Les deux frères Kennedy sont bien oubliés. Chez les femmes, si les tenues, nécessairement bleues, pouvaient avoir du charme, les visages faisaient peur : le Botox a déferlé sur les Etats-Unis, et il fige tous ces visages dans des sourires permanents et passablement inquiétants.
Tony from DC
Tony from DC est le pseudonyme d’un jeune économiste français en poste à Washington.
Deuxième partie : Chicago – Day 4 Suite et fin
Notes
↑1 | Exceptons Barack Obama, hors-concours du fait d’un physique avantageux. |
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