Nouvelle traduite de l’italien par Jean-Pierre Pisetta
Éviter les occasions d’entamer une conversation avec des compagnons de voyage inconnus a toujours été, pour moi, une règle, dont je m’étais fait une sorte de point d’honneur. Lorsque – et ce fut rare – je me suis malgré tout laissé tenter, je l’ai regretté. Et c’est ce qui est arrivé la dernière fois. Cela se passait au début de l’été dernier : dans le wagon de chemin de fer d’un train qui remonte toute la Péninsule étaient assis devant moi, et pendant de nombreuses heures, un homme et son épouse, ou en tout cas un couple ; ils parlaient français et n’étaient ni jeunes ni vieux, ni beaux ni laids. Seul signe particulier : leur évidente condition d’étrangers. Je ne me serais jamais soucié d’eux si l’homme, à un certain moment, ne m’avait pas demandé de l’informer sur la région que nous traversions.
Ils semblaient frénétiquement désireux de parler et ils le firent pendant près de deux heures, sautant du coq à l’âne, avec autant de désinvolture que de superficialité ; la femme intervenait avec des exclamations quelque peu théâtrales et des adjectifs emphatiques à chaque fois que son mari, quittant l’écheveau de ses propos confus, reprenait le fil de leur enthousiasme pour ce qu’ils avaient vu et éprouvé au cours de leurs vacances en Italie : vins, nourriture, mer, ciel, antiquités et réalités d’ordre scolaire.
Arrivé à destination, à savoir Turin, je savais tout sur monsieur Lafondre et sur sa femme, c’est-à-dire, en deux mots, qu’ils étaient belges, habitaient Namur, où Monsieur tenait un florissant magasin d’électroménager ; qu’ils avaient visité Rome, Naples, Pompéi, Amalfi, Ravello et d’autres lieux renommés ; qu’ils n’avaient pas d’enfants, ne manquaient de rien et étaient satisfaits de leur condition. Un échange de cartes de visite et d’adresses scella notre rencontre d’où, d’après monsieur Lafondre, devait découler une amitié éternelle et mon engagement à aller leur rendre visite à Namur, un jour ou l’autre. « Pas même si on m’y emmène pieds et poings liés », pensais-je.
Or, il y a quelques jours à peine, je me suis retrouvé chez, ou plutôt, dans le magasin de monsieur Lafondre. Il a suffi que je séjourne, pour des raisons personnelles, dans la capitale de la Belgique pour que le désir de me rendre à Namur (rien que deux heures de trajet) se mette à me tenter, à me tourmenter, sous les dehors d’une curiosité touristique : ne m’avait-il pas longuement parlé, monsieur Lafondre, de la célèbre Citadelle, et de la Meuse qui la côtoie, et des châteaux qui veillent sur la plaine ? J’étais dans le train qui me conduisait, donc, à Namur et déjà je me promettais de repartir le soir même sans m’être présenté chez les Lafondre, sauf que les visages et la personne de ces derniers sortaient de mon souvenir aussi impétueusement qu’ils m’avaient imposé leur conversation.
J’avais l’impression de les avoir de nouveau devant moi, dans le wagon : lui, massif, compact, d’une robustesse qui se manifestait surtout dans le cou et, aussi étrange que cela puisse paraître, dans les oreilles, qu’il avait rouges et épaisses, lourdes. À moitié chauve, les cheveux blondasses, les yeux légèrement porcins et la bouche lippue, monsieur Lafondre était, par ces détails de son visage, l’exact contraire de sa femme qui, elle, avait un visage long, des lèvres fines et de grands yeux au regard clair et ébaubi. Enfin, je parvins à ne plus penser à eux et, un peu plus tard, je quittai la gare de Namur et entrai dans le centre.
Il était dix heures du matin. J’avais décidé de marcher au hasard dans la ville jusqu’à midi, puis je déjeunerais, peut-être bien là, dans cet invitant « Café de la Meuse » que je voyais de l’autre côté de la rue, ensuite je prendrais un taxi pour aller à la Citadelle ; à 16 h 30, je repartirais.
Je me tenais sur le trottoir, indécis, regardant le ciel bas et uniformément gris, les gens et les véhicules, comme s’ils avaient pu m’inspirer quant à la direction à prendre ; un jeune homme était en train de m’observer et, tout à coup, je m’adressai à lui et lui demandai de quel côté se trouvait la rue des Ardennes. Ce n’était pas pour rien que, dans le train, j’avais pris dans mon portefeuille la carte de visite de monsieur Lafondre et voilà que son adresse m’était venue aux lèvres. « C’est tout près, à droite, toujours tout droit. » Bien. Et m’apparut la rue des Ardennes, avec ses façades grises sur lesquelles ressortaient le jaune des nombreuses enseignes et le noir des ardoises sur les toits. J’arrivai bientôt au magasin de monsieur Lafondre.
« Monsieur Lafondre vient tout de suite », dit une personne à laquelle je m’étais bien sûr adressé. Ça alors, j’étais à l’intérieur du magasin. Puis, pendant quelques minutes, tout se passa comme cela devait se passer : Lafondre qui, se retenant de me prendre dans ses bras, me donnait des tapes sur l’épaule, me montrait les articles qu’il vendait et, à la fin, m’invitait à déjeuner.
« En attendant, asseyez-vous ici un moment », et Lafondre me poussa, presque, dans un fauteuil et me mit entre les mains un numéro de La Libre Belgique. Il ouvrit une porte, la referma derrière lui et je compris rapidement qu’il téléphonait à sa femme. La conversation dura ; j’entendais, à travers la porte, la voix de Lafondre monter, devenir hargneuse, puis s’éteindre dans un chuchotement humble, avant d’éclater dans de confuses – pour moi – imprécations. (« Ne recommence pas… je te dis que non… je t’interdis… mais sois raisonnable, essaie au moins… je n’en peux plus… c’est à devenir fou… comment peux-tu penser une chose pareille ?… non, quoi ?… je vais te mettre en pièces… tu as compris ?… Juliette, ressaisis-toi… nom d’un chien, mais je vais te… mais je vais me… eh bien, regarde… oui, bonne impression… je t’en supplie, je t’en supplie, maudite sois-tu… »)
Je m’agitais dans le fauteuil et pensais m’en aller en catimini ; Lafondre ne me retrouverait pas et cette situation odieuse prendrait fin de cette manière. Je m’étais déjà levé quand il revint. Il était congestionné, hors de lui et ne faisait, me sembla-t-il, aucun effort pour dissimuler son état. Je cherchai naturellement à lui venir en aide, prétextant que je venais de me souvenir d’un rendez-vous urgent, à Bruxelles, que je regrettais de devoir repartir avant midi. Il parut se calmer, mais sans accepter pour autant mes raisons : « Votre rendez-vous attendra, dit-il, vous êtes là et vous devez déjeuner avec moi. Vous n’y pensez pas… Vous êtes mon invité… »
Je dus céder, quelque peu rassuré par ce qu’il ajouta : « Malheureusement, ma femme ne se sent pas bien ; les femmes, pardonnez-moi, ont toujours une excuse ; tant pis, nous, on ira au restaurant. Vous verrez, c’est un bel endroit, on se croirait vraiment à Paris. » Puis, après un moment, il ajouta : « En attendant, on va sortir et je vous montrerai la ville… Il y a une église, paraît-il, qui a été construite par un architecte italien du XVIIIe : la cathédrale Saint-Auban… »
J’eus la mauvaise idée de lui dire que, si on avait le temps, je monterais volontiers à la Citadelle.
« Très bien, sans problème, on ira aussi à la Citadelle, tout de suite même. »
La voiture de Lafondre était garée non loin du magasin : une luxueuse automobile américaine. Nous roulâmes un peu dans le centre, traversâmes le pont sur la Meuse pour voir l’ancien faubourg de Jambes, revînmes sur nos pas pour jeter un coup d’œil à ladite église du XVIIIe, blanche, qui semblait dépaysée dans ce lieu et, enfin, nous virevoltâmes dans les tournants qui conduisaient au Château. Heureusement, Lafondre, qui m’avait donné jusqu’alors de brèves et brutes explications sur les monuments de sa ville, s’efforçant d’y mêler l’un ou l’autre mot d’esprit, s’était enfin tu. J’aurais dû comprendre son malaise, la mauvaise humeur que lui avait mis au corps l’altercation avec sa femme, j’aurais dû me sentir légèrement responsable de la déplaisante situation dans laquelle lui et moi, et peut-être également sa femme, nous étions fourrés. Ma visite avait été inopportune. Or, à ce moment-là, je n’éprouvais qu’une profonde antipathie envers Lafondre, dans laquelle se reflétait mon mécontentement envers moi-même : pourquoi diable étais-je allé frapper à sa porte ? Nous étions dans le dernier lacet quand, rien que pour lui lancer une pique, je crus bon de lui dire : « Il y a longtemps, mais je m’en souviens, pendant le Tour de France, Bobet a laissé loin derrière lui, dans cette montée, votre Brankart, et Ockers et tous les autres. »
D’abord, Lafondre haussa les épaules, comme pour laisser entendre que cela ne lui importait guère, mais il me regarda de travers. Sur l’esplanade, il freina brusquement, descendit et, dès que je mis pied à terre, il m’agressa : « Et vous, vous les Italiens, qu’est-ce que vous savez faire ? Votre Coppi, lui aussi a été battu à plates coutures justement ici, et maintenant vous n’avez plus personne qui lui arrive à la cheville… Et nous, on gagne toutes vos courses, ah ! ah ! Milan-Sanremo, et le Tour de Lombardie… je vous plains, toujours deuxièmes ou troisièmes… derrière les Belges. »
Je réagis avec fureur. Nous étions vraiment en train de nous disputer et prêts à nous blesser, à nous offenser, pour une raison totalement étrangère à la nervosité de Lafondre et à l’antipathie que je ressentais pour lui. Bien vite, ses accusations ne touchèrent plus seulement les cyclistes mais tous les Italiens ; en moi, entre la confusion et la colère, se frayait un chemin une espèce de rage nationaliste, si bien que, au nom de ce sentiment, je lui intimai de se taire : il n’était pas question que monsieur Lafondre insulte l’Italie. Il me répondit par un ricanement. Alors, je surenchéris : « Allons donc… Vous, les Belges, vous n’êtes que des provinciaux : une mauvaise imitation des Français, voilà ce que vous êtes… »
Tout à coup, je m’interrompis : Lafondre venait vers moi d’un air menaçant ; il s’immobilisa dans une pose qui rappelait la garde d’un boxeur ; la détermination qu’il affichait me fit comprendre qu’il avait l’intention de me frapper. Je me préparai à parer son assaut tandis que mon imagination me représentait déjà une scène dans laquelle Lafondre et moi roulions, dans un corps à corps sauvage, sur le sol poussiéreux, et il prenait le dessus, cherchant à m’étouffer, pendant que je tordais désespérément les lobes de ses grandes, infâmes et animales oreilles. Mais il ne se passa rien de tout cela.
Après avoir pris son attitude de combat, Lafondre se calma. Il semblait fatigué et découragé ; il se passa une main sur le front, murmura des excuses et fit marche arrière. Il avança de quelques pas et alla s’asseoir sur un des bancs de pierre installés sur l’esplanade. Qui, à cette heure, était déserte et que rendaient presque sinistre un ciel ténébreux et un vent qui rasait la terre. J’étais, plus que bouleversé, ébahi par ce qui venait de se passer sans aucune raison valable, aussi décidai-je de faire parler Lafondre, de le laisser se défouler. Je m’approchai de lui et, essayant de donner à ma voix un ton joyeux, je lui dis : « Allons, monsieur Lafondre, nous nous comportons comme deux enfants. Donnez-moi la main. »
Et je lui tendis la mienne. Lafondre la toucha avec indifférence, sans la serrer, puis, lentement, comme pour me faire mieux comprendre ses paroles, il dit : « Sachez que, depuis un certain temps, je ne peux plus souffrir l’Italie et les Italiens.
– Comment cela ? fis-je. Vous les aimiez tellement l’été dernier !
– Depuis que nous sommes rentrés, ma vie n’est plus celle d’avant. Votre maudit pays a tout détruit. Il a détruit ma femme. Oui, il me l’a abîmée. Je vous assure : depuis ce voyage, elle n’est plus la même. Pendant un certain temps, elle n’a fait que parler de ce que nous avions vu, la mer, le ciel, les chansons et ainsi de suite, et elle recherchait tout cela dans les livres et les cartes postales ; puis elle a commencé à m’en vouloir, comme si c’était de ma faute si, ici, on ne trouve pas les mêmes choses. Mais il y en a d’autres, bon sang, s’emporta-t-il, et de bien meilleures. Elle s’est détachée de moi, elle prend des airs de femme sacrifiée, s’amuse à me tourmenter. Elle dit : Rome, Ravello, Posillipo et elle répète que, moi, je n’ai pas la… sensibilité, que je ne comprends pas l’art, la poésie de la nature ; qu’elle a besoin de lumière, de soleil, des choses belles, qu’elle est malheureuse et des âneries du même tonneau. Au début, j’ai pris patience parce que je considérais son engouement comme une maladie. J’ai laissé Juliette se balader dans la maison avec une fleur dans les cheveux et taper sur le piano pendant des heures en bêlant Sole mio. Ma patience a duré jusqu’au jour où elle m’a vexé plus que de coutume et où je l’ai rossée. Depuis lors, c’est un enfer, une dispute continuelle, et tout ça à cause de ce satané voyage. Je ne sais pas très bien ce qui s’est passé dans la tête de ma femme mais, ce qui est sûr, c’est que c’est de votre faute, je veux dire de la faute de l’Italie…
– Pardonnez-moi, dis-je, mais je trouve un peu ridicule que vous parliez de l’Italie comme vous parleriez d’un séducteur qui aurait cherché à profiter de votre femme. »
Une fois de plus, je crois que je m’exprimai mal. En effet, Lafondre bondit de nouveau : « Un séducteur… Eh bien, oui ! Vous savez ce que Juliette a eu le courage de me dire quand je lui ai annoncé votre arrivée ? Elle a dit qu’elle était contente que vous soyez venu, qu’elle vous attendait depuis longtemps, qu’elle était sûre de pouvoir vous convaincre de l’emmener en Italie. Elle a dit qu’elle le ferait à ma barbe. À ma barbe à moi ! »
Devais-je rire ou m’indigner ? Si je repensais au profil chevalin de madame Lafondre, à ses yeux inexpressifs, le sentiment qui convenait le mieux était l’effroi.
« C’est juste une question de nerfs, dis-je. Votre femme doit être atteinte de dépression. Vous verrez, cela lui passera. Essayez de la comprendre…
– Au diable, cria Lafondre, qu’elle aille au diable, et l’Italie avec elle, et son Vésuve et son soleil sordide… »
Et le voilà remonté sur ses grands chevaux, alors que, moi, je ne pouvais plus réagir que sous l’angle de la plaisanterie, ce qui ne faisait qu’empirer la situation. À la fin, je le persuadai de redescendre en ville.
« Écoutez, lui dis-je, ces choses-là, cela me connaît. Que croyez-vous ? Que c’est seulement en Belgique que les femmes ont des moments de mauvaise humeur ? Vous ne devez pas déjeuner avec moi. Il vaut mieux que vous rentriez chez vous et que vous fassiez la paix avec votre épouse. Dites-lui du mal de moi ; dites-lui que je vous ai planté là comme un malotru, comme un Italien, allez… Dites-lui cela, dites-le-lui. Elle trouvera que c’est dégoûtant, j’en suis sûr. Quant à moi, j’ai vraiment hâte de rentrer à Bruxelles où on m’attend ; je mangerai quelque chose sur le pouce et je prendrai le premier train de l’après-midi. Ce n’est pas une bonne idée de laisser Madame seule et, moi, j’en aurais du remords, je ne me sentirais pas à mon aise. »
Il parut rassuré par mes propos et redevint affable et causant ; tout en répétant de temps de temps que les femmes, dans leur ensemble, sont une plaie, il me quitta, comme je le lui avais demandé, devant le « Café de la Meuse », avec force poignées de mains, excuses et paroles de repentir.
J’avalai mon repas, fis quelques pas et, à treize heures trente, j’étais déjà dans la gare et montais même sans plus attendre dans le train qui devait partir une demi-heure plus tard. Ayant trouvé une place convenable, fatigué et échauffé comme je l’étais, je fermai aussitôt les yeux, ne pensant à rien d’autre qu’à la satisfaction de m’endormir.
J’entrai bientôt dans un sommeil confortable et léger, agréablement animé par les bruits du dehors que j’entendais sans les distinguer et par des pensées flottantes où s’insinuaient de façon comique les colères et les paroles de monsieur Lafondre. Soudain, quelqu’un me donna un, deux coups sur l’épaule. Je soulevai ma tête qui était en tain de balloter et, une fois réveillé, je crus qu’il s’agissait du contrôleur. Or, renfrogné et corpulent, c’était lui, monsieur Lafondre.
« Excusez-moi, me dit-il presque en balbutiant, excusez-moi. N’auriez-vous pas vu, par hasard, ma femme ? Dites-moi la vérité et ne plaisantez pas. »
Lorsqu’il me vit sincèrement stupéfait, Lafondre m’expliqua que, une fois rentré chez lui, il n’y avait pas trouvé sa femme mais un billet qu’elle avait laissé, dans lequel elle lui annonçait sa décision de le quitter. Le billet contenait, paraît-il, cette phrase : « Je pars moi aussi pour l’Italie », ou quelque chose du même genre, une phrase qui avait fait penser à Lafondre que sa femme m’avait rejoint, peut-être même que nous nous étions mis d’accord pour lui jouer je ne sais quel mauvais tour. C’était une histoire ridicule. Je le lui dis : « C’est ridicule, mon cher Lafondre. Qu’ai-je à voir là-dedans et pourquoi votre femme, dont je n’ai même pas vu le bout du nez, devrait-elle venir avec moi ?
– Parce que vous êtes un Italien, cré nom ! Parce que Juliette s’obstine, se bute, s’entête à me rendre fou…
– De jalousie, de jalousie envers l’Italie, complétai-je en riant. Allons donc, monsieur Lafondre, vous voyez bien que je suis seul et que je ne sais rien de votre femme. »
Il s’en alla, mortifié, triste, après avoir murmuré les mêmes paroles d’excuse ponctuées de quelques « vous comprenez », mais je constatai ensuite qu’il était resté sur le quai, derrière un pilier, et que, de là, il surveillait mon wagon d’un œil féroce. Il ne quitta pas cet endroit tant que le train fut à l’arrêt.
Je retournai à Bruxelles, expédiai mes affaires et, deux jours plus tard, j’étais à Rome. Je suis incapable de décrire avec exactitude la crainte qui m’envahit lorsque je fus devant chez moi, en raison d’une pensée qui là, sur le seuil, m’était subitement venue, alors que je m’apprêtais à enfiler la clé dans la serrure. La bonne, imaginai-je, allait me dire que là, dans mon bureau, une dame, une étrangère, m’attendait. Et je fus foudroyé par la vision de la scène : le profil chevalin, la fleur dans les cheveux, la façon de parler emphatique et glougloutante de madame Juliette : « L’Italie, l’Italie ! J’y suis. J’adore ça. Je suis terriblement heureuse. Je reste chez vous… pour la vie1… » Pendant quelques jours, j’éprouvai encore, en rentrant, cette frayeur. Mais, bien sûr, il n’arriva rien de tout cela et, par bonheur, je n’ai plus jamais eu de nouvelles des époux Lafondre, pas même une carte postale de la Citadelle de Namur.
Nouvelle parue dans le recueil L’uomo che mangia il leone (L’homme qui mange le lion), chez l’éditeur Bompiani, en 1969
Notes
↑1 | En français dans le texte (NDT). |
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