François Hollande comme Jacques Chirac, avis personnel, ressortent de cette catégorie de politiques qu’on peut ne pas apprécier : les habiles, ceux qui se complaisent dans les jeux politiques et la conquête du pouvoir, des rad-socs des temps modernes dont les idées sont aussi plastiques que les convictions sont fluctuantes. C’est donc avec surprise qu’il faut admettre ceci : son livre est d’une lecture agréable, et on vient à bout de ses 400 pages en assez peu de temps, sans avoir l’impression de s’être forcé.
Lecture agréable donc, d’un livre bien écrit et surtout bien documenté. Même si le survol de près d’un siècle d’histoire politique est rapide, il n’empêche que la documentation est sûre et que François Hollande ne tombe jamais dans un panégyrique mal venu. Les situations politique et économique des différentes expériences de la gauche au pouvoir sont analysées avec un souci d’objectivité et de recul qui sont appréciables. Ainsi Hollande esquisse-t-il un portrait nuancé de Guy Mollet, et la tâche n’est pas aisée tant le leader socialiste symbolise à la fois les contradictions de la gauche, ses renoncements et son incapacité à définir un axe idéologique réaliste. Autre exemple, lorsque François Hollande traite de l’expérience du Cartel des gauches, il montre bien que si « mur » il y eut, ce fut celui de l’incompétence plus que de celui de l’argent. Quelques puissent avoir été les qualités humaines et politiques des dirigeants de l’époque, ils péchaient tous par manque de culture économique, à une époque où les dérèglements du capitalisme devenaient de plus en plus complexes à saisir.
L’ouvrage entend analyser les problèmes de la gauche vis-à-vis du pouvoir en général et sa difficulté à sortir d’une posture plus ou moins révolutionnaire. La question essentielle en effet et depuis le début est celle-ci : accéder au pouvoir, oui, mais pour quoi faire ? Faut-il améliorer les conditions de vie des Français en s’attaquant à des problèmes concrets et en adoptant une perspective de temps long, ce qui caractérise la voie réformiste ? Faut-il au contraire rompre avec l’ordre établi tout de suite, en mettant l’accent sur le changement de régime immédiat plus que sur le concret des situations sociales, ce qui constitue la voie révolutionnaire ? Ce problème récurrent dans l’histoire de la gauche française se pose d’autant plus que celle-ci a toujours été éclatée entre plusieurs formations, et que même à l’intérieur des formations, le débat réformisme/révolution a toujours divisé.
Bref, la division est depuis toujours consubstantielle à la gauche, mais en même temps elle sait que pour accéder au pouvoir, elle doit être unie ou dans tous les cas, faire semblant de l’être. On l’aura compris, pour François Hollande, du Front Populaire à la Gauche Plurielle, la gauche est victorieuse quand elle l’est, unie, et peut installer son action dans la durée, quand elle arrive à maintenir un minimum de cohésion entre formations qu’histoire, idéologie et aussi sociologie divisent.
Mais en refusant de trancher quant à la ligne idéologique à tenir, les ferments de la division continuent de produire leurs effets, et ceci explique pour Hollande la fin prématurée du Front populaire, la défaite de Lionel Jospin en 2002 et la triste fin de son quinquennat en 2017. La diversité idéologique ne constitue une chance qu’à la condition d’une part, qu’il y ait au sein des coalitions un parti vraiment dominant, et que d’autre part, les visions du monde ne soient pas parfaitement inconciliables.
Un réformisme qui ne s’assume pas
Pour autant et malgré ses qualités évidentes, l’ouvrage pèche par un manque de clarté au niveau de ce que devrait être une voie réformiste. Car si on comprend bien où Hollande se situe, il est difficile de percevoir ce que devrait être la voie d’un réformisme à la française et pourquoi alors que dans sa pratique la gauche a rompu avec la voie révolutionnaire n’a-t-elle jamais eu un congrès comme celui de Bad-Godesberg pour le SPD allemand, congrès qui acterait la nouvelle ligne idéologique. Car, on a le sentiment à la lecture de l’ouvrage que ces réorientations ont été plus ou moins contraintes par les évènements, et que la gauche ne les a toujours pas assumées. D’où des contradictions ingérables qui ont conduit le PS à la situation que nous connaissons. François Hollande revient sur l’épisode connu de janvier 2012 où lors d’un rassemblement électoral au Bourget, il fustigea la finance, son « ennemie ». Curieusement, il oublie de préciser que c’est sous les deux septennats Mitterrand que l’économie française s’est le plus financiarisée.
Ainsi la parenthèse dite « de la rigueur » est certes évoquée, mais on aurait aimé que François Hollande soit plus critique sur la politique dite de désinflation compétitive qui a été menée alors et qui a conduit aussi à la désindustrialisation et au malaise social actuel. Si L’auteur souligne à juste titre que l’amorce de politique économique que mena Pierre Mendès France n’était pas vraiment originale, celle que mena Bérégovoy l’était toute aussi peu. Refuser l’aventure d’une sortie du SME constituait un vrai choix, s’obstiner dans la politique du franc fort relevait d’une orthodoxie bien éloignée de la social-démocratie.
Le chapitre sur l’expérience Jospin est à cet égard très révélateur. Le titre est évocateur « Lionel Jospin ou le succès empêché ». Contrairement à ce que semble croire François Hollande, la défaite venait de loin. Qu’elle se soit cristallisée dans des faits divers est certes vrai mais il n’empêche que le phénomène de décrochage des catégories populaires était déjà ancien et a atteint son paroxysme en 2002. Si la gauche a fait son aggiornamento sur les questions de sécurité, dans la réalité de leur vécu, les Français ne l’ont pas ressenti. De la même façon, la gauche n’a jamais su sur les questions liées à l’immigration tenir un discours cohérent.
Que dire de la laïcité ! la trop fameuse affaire des foulards de Creil fut vécue par beaucoup comme une capitulation de la gauche et surtout le nœud de ses contradictions. Le discours de LFI sur ce sujet vient de loin, il n’est pas sorti tout droit du cerveau fumeux de Jean-Luc Mélenchon. Dans son ouvrage Confessions d’un bon à rien1, Elie Barnavi historien et ancien ambassadeur d’Israël en France et bon connaisseur de notre vie politique a bien compris que l’attitude de Lionel Jospin, lors de cette affaire, serait lourde de conséquences. Lors d’une entrevue avec Lionel Jospin, ce dernier lui demanda la marche à suivre, et Barnavi lui répondit qu’il n’y en avait qu’une : la fermeté. On connait la suite !
François Hollande a raison de souligner que l’ouverture au monde tant vantée par la gauche a entraîné des conséquences jugées néfastes par les catégories populaires, mais il se garde bien d’analyser le décrochage qui s’est opéré entre les aspirations des élites socialistes et celles des catégories populaires, et pas seulement des ouvriers. La question des 35 heures aurait pu constituer ce moment privilégié, car selon la catégorie sociale à laquelle on était rattaché, la perception du caractère positif des 35 heures variait beaucoup. François Hollande évoque le problème du tassement des rémunérations qui a suivi l’application des 35 heures, mais ne s’y arrête pas.
On aurait aimé de la part d’un ancien premier secrétaire du Parti socialiste des pages décisives sur cette gentrification des forces sociales-démocrates, qui explique aussi en partie l’échec de 2002.
Car la vraie question à laquelle François Hollande ne répond pas est celle-ci : à qui la gauche s’adresse-t-elle ? Même des catégories sociales qui lui étaient acquises aujourd’hui décrochent. Ainsi du vote des fonctionnaires qui révèle une fracture entre la fonction publique du bas qui vote volontiers à droite et celle du haut à gauche. Et c’est bien là le drame de la gauche actuelle, si l’on excepte le cas spécifique du vote des banlieues. Le décrochage avec les populations qui bénéficient de revenus moyens et bas est massif.
Curieusement, François Hollande accepte le principe d’un devoir d’inventaire de son quinquennat, mais pour le réduire à une page et demie ! On peut toujours gloser sur les divisions étalées au grand jour tout au long de son quinquennat, en faire la cause première du délitement gouvernemental, mais on passerait à côté de l’essentiel : comme celle de ses prédécesseurs, la politique économique menée était, de fait, illisible. Si la politique de compétitivité qui s’est incarnée dans le CICE était nécessaire et fut salutaire, la politique fiscale demeure la grande énigme de ce septennat. Ce n’était pas tant les riches qu’Hollande n’aimait pas mais la classe moyenne dans sa globalité, et les classes moyennes l’ont bien perçu ! Sa politique fiscale a cassé la croissance pendant tout son quinquennat, et n’obéissait à aucune logique politique. De la même façon, sur les sujets de sécurité et d’immigration, Hollande a fait certes des constats lucides, mais assez peu agi pour mener des politiques efficaces.
François Hollande ne cesse de proclamer dans son ouvrage son crédo européen. Mais en enfermant le débat entre ceux qui seraient contre et ceux qui seraient pour, on passe à côté d’une réalité : quelle Europe construit-on et autour de quelles valeurs ? Ainsi la politique de la concurrence menée par l’Union européenne reste parfois difficile à saisir ! En la matière, les socialistes ont sous-estimé les conséquences économiques et sociales des traités pour lesquels ils appelaient à voter. L’émergence de La France Insoumise vient de loin.
Questions sans réponse
Incapable de définir une voie réformiste ambitieuse, le Parti socialiste s’est enlisé dans des stratégies de conquête du pouvoir et s’est avéré incapable de répondre aux questions : « pour quels objectifs et pour qui ? ». La gauche française a beaucoup critiqué, et parfois avec raison, la tentative de redéfinir la social-démocratie qu’avait commencée Tony Blair. Mais à la différence des socialistes français qui menaient des politiques social-libérales sans jamais les assumer, Tony Blair les assumait, et il avait le mérite d’essayer de redéfinir le corpus idéologique de la social-démocratie. On peut toujours disserter en jésuite sur les différences entre économie de marché et société de marché, mais il est difficile dans la vie de tous les jours de dissocier les deux.
On peut toujours argumenter que la France a un système social parmi les plus avancés, mais on ne peut nier que dans l’accès aux ressources notamment éducatives, la France reste un pays très inégalitaire. La redistribution n’a pas permis de fluidifier les parcours sociaux. Preuve qu’un pays peut adopter des politiques de redistribution ambitieuses en garder une structure sociale très inégalitaire. C’est le cas de la France.
A la lecture de l’ouvrage on comprend le message politique que veut faire passer Hollande : désunie, la gauche court à l’échec. On voit cependant mal quel serait le chemin du renouveau car même unie, elle reste autour de 30% des suffrages, quelles que soient les élections. L’essentiel est donc ailleurs, et ce n’est pas dans ce livre qu’on trouvera la préfiguration de ce que pourrait être une nouvelle social-démocratie.
Jean-Claude Pacitto
François Hollande, Le défi de gouverner: La Gauche et le pouvoir depuis l’affaire Dreyfus, éditions Perrin, septembre 2024
Notes
↑1 | De Jean-Claude Pacitto, lire aussi sa recension du livre d’Elie Barnavi et les confessions d’un bon à rien, Contreligne, avril 2022 |
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