L’économie aux Etats-Unis selon Angus Deaton

Après Edmund Phelps, avec « My journeys in economic theory”,c’est au tour d’Angus Deaton, prix Nobel d’économie en 2015 et professeur à Princeton de nous livrer dans « Economics in America – An immigrant economist explores the land of inequality » ses réflexions sur la science économique, ses acteurs, ses réussites et ses échecs.

Accessible à tous, écrit dans un anglais clair et dépourvu de jargon technique, l’ouvrage lève un coin du voile sur les mystères de la vie du professeur d’économie en université. Riche en anecdotes, pas toujours indispensables pour celui qui n’est pas un participant régulier aux assemblées annuelles de la prestigieuse American Economic Association, il apporte un éclairage d’initié sur les mécanismes qui contribuent à alimenter le conservatisme de la réflexion et des thèmes de recherche en économie, au premier rang desquels Le fonctionnement des processus de sélections des professeurs ou le poids dominant des cinq grandes revues scientifiques d’économie dominées par les universités américaines. Il met également en lumière les difficultés rencontrées par les femmes à percer dans la profession, sujet qu’il connait parfaitement étant l’époux d’Ann Card, également professeur d’économie de renom et co-autrice de son ouvrage Deaths of despair and the future of capitalism paru en 20201.

Mais c’est la place des économistes dans le débat public et leurs relations avec le pouvoir politique qui sont au cœur de l’ouvrage. Il relate notamment l’accueil réservé aux travaux de David Card et d’Alan Krueger qui, en comparant la situation du New Jersey et de la Pennsylvanie, ont montré que la hausse du salaire minimum n’a pas d’impact sur l’emploi des travailleurs peu qualifiés dans la restauration rapide. L’une des hypothèses formulées par les auteurs pour expliquer ce phénomène est la position de monopsone des employeurs du secteur sur le marché pour ce type d’emploi qui leur confère la capacité de maintenir les salaires artificiellement bas. Deaton relate le tir de barrage subi par Card et Krueger de la part des adversaires d’un relèvement du salaire minimum à coup de données manipulées et d’arguments de mauvaise foi. Il dénonce également ces mêmes méthodes utilisées pour faire pression sur la mesure de l’indice des prix à la consommation afin de limiter sa progression et la revalorisation des prestations sociales sur lesquelles il est indexé.

Economics in America revient également à de nombreuses reprises sur ses travaux les plus récents et les idées énoncées dans Deaths of despair. C’est l’aspect le plus intéressant de l’ouvrage qui jette un regard clinique sur les inégalités dans l’Amérique triomphante à laquelle nous n’avons de cesse de nous comparer. Le revenu par habitant aux Etats-Unis a progressé de 1,8 % par an en moyenne aux Etats Unis entre 1971 et 2021, mais Deaton rappelle que le salaire réel médian a stagné et celui des hommes sans diplôme universitaire a diminué pendant cette période ! Ou est passé l’argent ? D’abord dans la poche des plus fortunés mais également, et c’est une des originalités de l’ouvrage de le rappeler, dans le système de santé. Il décrit avec précision les errements du “health care” dont le cout croissant est de 30 % supérieur à celui des systèmes européens pour un résultat moindre en termes de santé publique. Il décrit avec précision la “capture du pouvoir” politique par les puissants lobbys opposés à toute réforme et à tout encadrement des coûts qui ont limité la portée des réformes Obama ainsi que leur pression constante pour dénigrer et couper les budgets des économistes de la santé.

Deaton montre comment les coûts du système et son mode de financement ont contribué à la dégradation de la situation des travailleurs peu qualifiés et sans diplôme universitaire. Le coût de l’assurance santé, lorsqu’elle est pris en charge par l’employeur, est devenu prohibitif notamment pour les bas salaires puisqu’il n’est pas fonction de la rémunération mais du risque pour l’assureur. Avec la robotisation et la concurrence internationale, c’est un des facteurs qui explique la disparition de ces types d’emplois et la progression, sans équivalent dans le monde, de la mortalité liée aux désespoir chez les américains entre 45 et 54 ans sans diplôme due à l’alcoolisme, aux overdose ou par suicide.

Le livre comporte également ses réflexions sur le système de retraite aux Etats Unis, ses fragilités et sa contribution aux inégalités. Malheureusement ses analyses sont peu précises. Dommage dans le contexte actuel de notre débat sur la réforme des retraites dans lequel les fonds de pension anglo-saxons sont souvent cités en exemple.

Un livre à lire donc par tous ceux souhaitant s’intéresser aux travaux de l’un des économistes américains les plus réputés sur les inégalités aux Etats-Unis et sur leurs causes profondes, inégalités qui ont poussé la population à voter pour le candidat républicain à la dernière élection présidentielle. Deaton présente de manière claire et accessible la capture progressive du pouvoir par une oligarchie qui perpétue les inégalités et enferme une partie de la population, celle qui n’a pas eu la chance d’accéder à un diplôme universitaire, dans le marasme économique.

Marc Auberger

Marc Auberger, ancien élève de l’ENA, est inspecteur général des finances et maitre de conférences à l’IEP de Paris au sein de l’Ecole du management et de l’impact.

Economics in America d’Angus Deaton, Princeton University Press 2023

Notes

Notes
1Angus Deaton et Anne Case, Deaths of Despair and the Future of Capitalism, Princeton University Press, 2020.
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