L’ouvrage de l’ancien directeur du Monde est surprenant. Il est d’abord mieux écrit et moins complaisant que la plupart des autobiographies, genre dont il relève sans en avoir l »air. Il est aussi riche de toutes sortes d’aperçus sur la difficulté à diriger un grand quotidien : rédaction immature, infrastructure coûteuse et inadaptée, pression politique franche et directe, banquier sans pudeur ni scrupule, coordination de la rédaction « papier » et de la rédaction numérique rendue difficile par la différence dans les actionnariats sous-jacents, … Le récit des rencontre avec N. Sarkozy serait presque difficile à croire si tout dans le livre ne témoignait pas d’un fonds d’honnêteté incontestable, jusque dans l’aveu d’erreurs et de maladresses ( le dernier éditorial, de type testamentaire, est un exemple de ce qu’il ne fallait pas faire). La fin de la période Plenel mérite aussi d’être lue. Les portaits des patrons de presse italiens, espagnols ou français, avec lesquel Le Monde essayera en vain de sauver son indépendance, sont réussis, et donnent bien le style des tractations qui ces dernières années, ont eu lieu dans les milieux de la presse, cette industrie sinistrée qui voient les actionnaires historiques ou les nouveaux actionnaires financiers à la peine quand il s’agit d’inventer un modèle économique nouveau. Les efforts de la direction du Monde pour éviter le dépôt de bilan, le sprint final qui voit l’emporter un trio de repreneurs que personne n’attendait sont relatés avec précision et ce qu’il faut de suspense.
Mon tour du Monde est enfin attachant quand il retrace les différentes étapes qui conduisent Fottorino à la direction du journal, de l’apprenti localier pour un quotidien régional aux voyages de grand reporter en Afrique, puis au service Bourse. On y apprend en passant que Fottorino jeune s’était choisi André Siegfried pour maitre dans l’art d’écrire sec et précis (auteur glorieux mais dont on ne trouve plus grand chose en librairie sinon Le Tableau de la France politique de l’Ouest, aux Presses de l’ Université de Bruxelles – vérification faite, il y a effectivement de quoi prendre des leçons de style).
Malgré des longueurs, notamment les nombreux portraits de journalistes de la grande époque de la presse parisienne que peu de gens connaissent encore, Mon tour du Monde est donc un excellent livre pour qui s’intéresse à la presse.
Stéphan Alamowitch