Il sera temps de faire un jour sereinement le bilan diplomatique des deux présidences d’Emmanuel Macron. Aujourd’hui il est seulement possible de repérer certains traits qui, peut-être plus tard, appelleront recherches savantes et discussions, mais qui donnent déjà certaines indications troublantes.
Comme souvent les ambitions de départ se sont heurtées aux faits, aux rapports de forces et aux aléas internationaux, ce qui est le propre de toute diplomatie tant soit peu construite et au fond de tout projet politique. Dans le cas d’Emmanuel Macron, cet écart entre les ambitions et les résultats tient quand même beaucoup aussi à une certaine impréparation et à un style qui s’est révélé dysfonctionnel.
Laissons de côté pour un prochain article le bilan de ces deux présidences en matière européenne, où il faut créditer le président de vrais succès, probablement parce que le cadre européen, foncièrement sobre et transactionnel, interdit à certaines faiblesses de s’exprimer trop librement.
Des limites du charme et de la raison libérale
S’agissant de la Russie, le projet de nouer des relations nouvelles personnelles avec Vladimir Poutine, au point de s’en prendre aux diplomates de profession jugés trop hostiles à la Russie, qualifiés d’Etat profond1, a échoué de façon spectaculaire et humiliante. Ces bonnes relations de façade n’ont pas rendu la Russie moins déterminée dans son plan d’agression de l’Ukraine, qui n’est pas l’effet d’un caprice ou d’une foucade du président russe, mais le point d’aboutissement d’une stratégie pragmatique dans ses détails mais déterminée dans son projet. On comprend à peine pourquoi Emmanuel Macron s’est acharné à rechercher une solution diplomatique peu avant le 24 février 2022 quand les discussions bilatérales ont fini par devenir ridicule, et même après cette date. Quel pouvoir pouvait-il s’imaginer ? Vladimir Poutine pouvait-il être amadoué et rendu plus conscient des bienfaits de l’interdépendance économique et de la paix régionale ? Pouvait-on en faire un bon européen, prêt à collaborer rationnellement avec tous les autres pays d’Europe ? Les faits l’ont démenti. Cette naïveté était-elle excusable ? Et la semaine dernière, il n’était pas sérieux de qualifier les Etats d’Europe centrale, tétanisés par la menace russe, de pays « va-t’en-guerre », et de donner par mégarde l’impression que la France recherche une position médiane au mépris de l’unité européenne qu’elle veut promouvoir. Belle illustration des méfaits de l’improvisation.
On ne comprend d’ailleurs pas comment Emmanuel Macron, qui avait su pointer les manipulations de l’opinion française dont il avait été lui-même victime au moment de sa première élection, a ensuite, sans réagir, laissé Russia Today et Sputnik amplifier la crise des Gilets Jaunes et mener leurs campagnes de déstabilisation2. La haine de la démocratie libérale, vue comme un danger mortel pour l’autocratie et l’orthodoxie (un classique de la pensée slavophile), fait partie de l’ADN du pouvoir russe.
La même erreur peut lui être reprochée dans ses rapports avec Donald Trump, mais heureusement dans un contexte différent et avec des conséquences sans la même gravité.
Dans les deux cas, il semble que l’épaisseur historique des situations aient été analysées trop vite, sans mesurer ce qu’elles pouvaient comporter de conflictualité et de violence. C’est l’occasion d’appliquer au président actuel ce que disait Raymond Aron de Valery Giscard d’Estaing dans Le spectateur engagé (1981) : « homme très intelligent, très instruit, est en même temps un homme irénique (…). Quand vous écoutez ses discours, vous avez toujours le sentiment que tout peut s’arranger par négociations, compromis, en étant raisonnable. À peu près jamais il ne donne le sentiment qu’il y a, dans le monde où nous sommes, des conflits probablement inexpiables, qu’il y a le risque, le danger des tragédies. » S’y ajoute aujourd’hui une certaine candeur…
Outrecuidance au Liban et en Afrique
Au Liban, à quoi servait en septembre 2020, peu après l’explosion d’août, d’enjoindre à la classe politique libanaise de procéder à de vraies réformes, quand l’on n’avait entre les mains aucun levier permettant de débloquer une situation si complexe ? C’était susciter l’espoir dans une grande partie de la société libanaise, démoralisée par l’état de son pays et on la comprend. Le résultat deux ans après est simple : rien.
La même chose peut être dite de la nouvelle politique africaine souhaitée lors du discours (interminable) de Ouagadougou en novembre 2017, puis lors des Sommets « Afrique-France »3, avec ses appels à la jeunesse, et qui laisse maintenant place à des injonctions aux diplomates de contrer la propagande russe. Il est bien tard ! Peut-être parce que la lutte contre le djihadisme a primé, on n’a pas vu se profiler l’offensive russe. Sur un autre plan, on n’a pas fait grand chose pour comprendre et « recadrer » les grandes entreprises et les grandes banques françaises qui, pour des raisons à courte vue, se sont désengagées d’Afrique malgré leurs proclamations de toute sorte. Un peu de réflexion et de technique aurait été plus utile que de grands desseins4.
En Algérie, l’idée d’apaiser par une visite présidentielle et des commissions d’historiens la hargne de la classe politique et d’une partie de la population algériennes est aimable. Mais elle paraît bien superficielle quand l’on songe que cette hargne procède d’une névrose historique dans laquelle la France n’est plus pour grand-chose. Un pouvoir qui tire sa seule légitimité de la guerre d’indépendance n’a aucun intérêt à oublier les griefs passés et les demandes de réparation, ce qui le laisserait démuni face à un pays qui réclame des réformes. La colonisation a un bilan moral bien établi aujourd’hui, et qui est déplorable, mais il n’appartient pas au président de la République de rechercher une réconciliation dans une conjoncture politique algérienne qui l’interdit. Emmanuel Macron s’est condamné à n’apaiser personne. Il a au contraire alimenté le ressentiment général, et même suscité la colère des manifestants du défunt Hirak, convaincus que la France conforte le pouvoir en place. Ce qui revient à perdre sur les deux tableaux. La langue française, qu’on aurait imaginé en trait-d’union entre les deux pays, est désormais officiellement mise au même rang que l’anglais…. Beau succès. Il aurait mieux valu se limiter à une diplomatie économique sobre, transactionnelle, sans objectifs culturels, et non entourer de mots creux l’Accord de partenariat conclu avec le président algérien.
Au demeurant, on se demande ce qui autorise un président à vouloir peser sur la réflexion des historiens, tant français qu’algériens. Aux dirigeants algériens, incapables de sortir de leur mythologie par conviction et par intérêt, il faut seulement rappeler que la vérité historique n’appartient à personne, et certainement pas aux classes politiques. Il suffit de laisser les historiens travailler librement, et ouvrir les archives qui seraient encore fermées, ce qu’Emmanuel Macron a entrepris plus sincèrement que ses prédécesseurs. Sur la colonisation française et sa cruauté, il n’est pas besoin de déclarations de politique générale. Les travaux sérieux suffisent, et ces dernières années, ils n’ont pas été rares.
Le Larousse définit l’outrecuidance comme une « confiance excessive en soi-même » et comme une « désinvolture à l’égard des autres ». La diplomatie d’Emmanuel Macron répond souvent à la première partie de cette définition. Il serait dommage qu’elle réponde aussi à sa seconde partie.
Nicolas Tisler
Post-Scriptum (7 septembre 2022) : il apparait que c’est à la demande de V. Zelinsky qu’E. Macron a cherché à joindre V. Poutine juste après l’invasion du 24 février 2022…. Voir ici.
Notes
↑1 | Expression choquante, qu’il aurait dû éviter ne serait-ce que pour sa connotation trumpienne. |
---|---|
↑2 | Russia Today dont la Convention de diffusion avait été gentiment renouvelée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, fort bienveillant et probablement au fait de ce qu’il convenait de décider, en décembre 2020… |
↑3 | Sans que personne au Quai d’Orsay n’ait alerté sur la stupidité de cette dénomination et ce qu’elle pouvait avoir de rétro pour les africains auxquels on veut parler ! |
↑4 | Un point positif à saluer cependant : la politique de restitution des oeuvres d’art volées en Afrique, annoncée à Ouagadougou et engagée sérieusement depuis. |