Éric Rohmer, ce n’était pas son vrai nom. Il nait Maurice Schérer, nom que sa mère lui maintint toute sa vie. Pour elle, Maurice était professeur dans un lycée à Paris, et elle n’a jamais su qu’il existait un Éric Rohmer, ni que son fils était un cinéaste de renommée internationale et un ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma. Son cinéma, lui aussi, s’est fait dans l’effacement de soi. Rohmer idolâtrait André Bazin, l’influent théoricien du cinéma qui affirmait que le cinéma était « l’aboutissement dans le temps de l’objectivité photographique », que le film devait renoncer à l’artifice de sa création et prétendre être un instantané de la réalité, un reflet du monde qui se déroulait devant la caméra. Ignorer les origines de l’image et sa médiation, disait Bazin ; le monde que l’on choisit de représenter est le monde lui-même.
De nombreuses œuvres de Rohmer ont suivi ce modèle de près. Les acteurs et l’équipe, y compris Rohmer, vivaient tous ensemble dans des logements souvent spartiates, dépourvus des commodités de base, à proximité du lieu de tournage et, dans la mesure du possible, les scènes étaient tournées à la suite l’une de l’autre. L’Auteur tout en haut de la hiérarchie, conduit en bus depuis un hôtel de luxe, c’était le contraire des méthodes de travail de Rohmer. Au fur et à mesure de l’évolution de son cinéma, il abandonne le 35 mm pour le 16 mm, le grain visible de ce dernier rendant l’image moins cinématographique. Il s’éloigne des cadres plus larges associés au cinéma à grande échelle ou épique pour adopter le cadre carré de 1:33, plus télévisuel. Selon ses biographes, Rohmer considérait que ce cadrage télévisuel, avec son aspect résolument non cinématographique, ouvrait le film à « l’épiphanie de la banalité ».
L’objectivité selon André Bazin ?
La banalité pourrait suggérer l’inconséquence, mais rien n’est si simple. Rohmer recherchait un mélange d’objectivité bazinienne et de ce qu’il appelait, en reprenant une célèbre remarque de Rimbaud, un style « absolument classique ». Cette insistance sur le classique souligne l’incongruité de Rohmer, « le grand Momo » comme on l’appelait, parmi les cinéastes de la Nouvelle Vague plus jeunes et plus radicaux politiquement, comme Godard et Truffaut, qu’il éditait pour les Cahiers, auxquels il est souvent associé. Le classicisme de Rohmer l’a toujours distingué de ses jeunes collègues, qui ont fini par l’évincer des Cahiers.
Au lieu des coupes rapides, des gros plans et des innovations structurelles adoptés par la Nouvelle Vague, les films de Rohmer se caractérisent par de longs plans fixes et de lents travellings de personnes marchant dans des villes, des cités et des campagnes ensoleillées. Les films rayonnent d’une beauté tranquille. Les bâtiments et les vêtements sont dans des tons pastels, et la conception sonore est marquée par les bruits ambiants de la circulation au loin ou du clapotis de la mer. Dans une séquence du Rayon vert, Delphine (jouée par Marie Rivière) erre dans une allée verdoyante, atteint un portail grillagé et est accueillie par une brise soudaine. Soudain, elle est au bord des larmes.
Les chemins fermés reflètent les emplois et les relations sans issue qui ont défini sa vie à Paris ; elle est ici, dans ce bel endroit, coincée. Dans la tradition d’André Bazin, aucune attention n’est portée à l’appareil cinématographique dans le processus de narration de l’histoire ; ici, le style est une absence apparente de style. Nous nous asseyons avec les personnages, écoutons leurs opinions et les regardons résoudre leurs problèmes, tout en restant, de notre position omnipotente, un pas en avant de leurs épiphanies. La mise en scène calme et sophistiquée de Rohmer nous procure une sensation, un sentiment.
Rohmer, Liverpool et le Brexit
Le Rayon vert fait partie d’une série de six comédies dramatiques que Rohmer a réalisées entre 1981 et 1987 et qu’il a appelées Comédies et proverbes, que j’ai toutes regardées l’été dernier. Rohmer n’était pas un réalisateur que je connaissais bien – j’étais beaucoup plus familier avec Godard, Truffaut, Varda et Melville – mais voir ces films à la suite s’est avéré une expérience révélatrice. Je les regardais de chez moi, à Liverpool, dans le long et sinistre sillage du Brexit, alors que le Royaume-Uni se débarrassait d’une relation de cinquante ans avec l’Europe. Dans ce contexte, les films sont apparus comme des messages venus d’une mémoire commune désormais abandonnée.
L’éloignement de l’Europe a renforcé de manière palpable pour moi le caractère français de l’œuvre de Rohmer. Les Comédies et proverbes, qui racontent la vie sans racines de jeunes gens à Paris et dans le nord de la France, se déroulent dans de beaux paysages ensoleillés, dans des villes et des banlieues. Elles se déroulent lentement, souvent sans bande sonore, et sont remplies de longues scènes de conversation. Ils semblent si peu britanniques – si peu froids, si peu méchants, si peu isolés – qu’ils créent une sorte de nostalgie pour la France dépeinte par Rohmer, ou non seulement pour la France mais dans un sens plus nébuleux pour l’Europe, quel que soit le sens de ce terme aujourd’hui.
Cette réaction nostalgique à l’égard de ses films est déjà une sorte de cliché. Au plus fort de ma phase Rohmer, je me demandai si quelqu’un écrivait sur son œuvre en 2022, et si sa réception critique avait changé ces dernières années. La première chose que je trouvai n’était pas une critique cinématographique, mais un article de GQ datant de 2021 consacré au « Rohmer Guy ». Le succès de la romance méditerranéenne Call Me By Your Name de Luca Guadagnino avait, semble-t-il, provoqué un regain d’intérêt pour le type de scénarios et de personnages d’Europe continentale fétichisés dans lesquels Rohmer excellait : « Avez-vous rencontré un « Rohmer » ? Peut-être en êtes-vous déjà un, ou désirez-vous en être un, et ne le savez-vous pas encore. Un homme Rohmer est un homme qui ressemble à un figurant dans le film Le Rayon vert : il porte un pull-over tout en traînant sur la plage, malgré la chaleur. Les hommes de Rohmer aiment porter des chemises amples, de préférence en polyester ou en lin… Il n’est pas nécessaire d’avoir vu un film d’Éric Rohmer pour être un homme de Rohmer. »
Ce qui importe ici, ce sont les textures à l’écran, les vêtements, les images. Les films de Rohmer sont décrits comme vides, comme une simple incitation à l’épure : « Les meilleures scènes de l’œuvre du réalisateur français sont celles où il ne se passe rien. Une brise légère passe sur le visage d’une femme à Biarritz. Un homme conduit un bateau sur un lac opalescent à la frontière suisse ». Etais-je un type à la Rohmer ? L’idée que l’influence contemporaine de Rohmer n’implique pas nécessairement de voir ses films pousse à l’extrême la fétichisation de cette atmosphère à la française – mais j’ai reconnu quelque chose de ma première réaction aux films de Rohmer, mon goût immédiat pour leur atmosphère de ses films avant toute politique. Et pourtant, plus je regardais les films de Rohmer, plus cette impression devenait instable.
La fétichisation de l’Europe
Ma famille voyageait rarement à l’étranger durant ma jeunesse, mais nous avons visité la Bretagne une fois au milieu des années 1980, à l’époque exacte et au même endroit où Rohmer réalisait ces films. Ma colère devant l’isolement du Royaume-Uni par rapport au continent s’est mêlée au souvenir de ce voyage de jeunesse, la vivacité des films de Rohmer suscitant une double nostalgie pour les choses du passé.
Dans le Royaume-Uni post-Brexit, les opinions sur le référendum sont désormais si figées qu’il est maintenant devenu presque tabou d’en parler. Il en est venu pour les europhiles une fétichisation de l’Europe, qui fait paraitre la vie britannique encore moins attrayante comparée à ce qu’on imagine du Continent. Qu’elle soit vraie ou non – et elle l’est souvent – cette fétichisation présente l’Europe comme moins isolée, moins repliée sur elle-même, plus détendue, plus attachée à la coopération entre les nations. Rétrospectivement, il est facile de voir la lente gestation du Brexit dans la conscience britannique, une xénophobie qui associe souvent la France à l’Union européenne et à l’Europe en général1. Deux images de la France s’affrontent : les plages ensoleillées, le vin et la culture décrits dans les films de Rohmer, et les bureaucrates obtus et lâches décrits par les tabloïds. Après les années de rhétorique rageuse pro-Brexit, il est tentant pour ceux qui se sentent orphelins de fusionner toutes ces versions de la France en quelque chose d’autre, en une Anti-Grande-Bretagne, loin de l’esprit étroit et réactionnaire de l’île isolée, moins rigide.
Les Comédies et Proverbes de Rohmer me semble répondre exactement à ce besoin ; leur absence de tout dimension politique et le refus du sacro-saint Auteur me permette de baigner dans la vision d’un lieu plus équilibrée. Je le vois dans la façon dont Marie Rivière voyage de ville en ville dans Le Rayon vert, rencontrant des gens discutant de l’éthique du végétarisme au cours d’un déjeuner, avant de décider brusquement de changer d’endroit. Je le vois dans les romances croisées de Pauline à la plage, où les éléments douloureux des relations sont continuellement reportés – « L’amour ne peut pas être forcé », dit Arielle Dombasle à Amanda Langlet – à un avenir hors du cadre du film lui-même. Je le vois dans le refus des intrigues trop grossières ; la fable, en filigramme du récit, ne s’encombre jamais d’incidents ou de circonvolutions. Fondamentalement, il s’agit d’une forme souple, les situations pouvant être modifiées en fonction d’un débat ou d’un caprice.
La production des Comédies et Proverbes a coïncidé avec la présidence de François Mitterrand (1981-1995) et la consolidation du tourisme de masse en France. C’était une époque où la politique française était largement à gauche et où l’image de la France à l’étranger, en particulier outre-Manche, était devenue synonyme de sophistication accessible et de vie facile. Cette époque marque le déclin de la popularité internationale du cinéma français plus radical des contemporains de Rohmer : Truffaut est mort prématurément en 1984 et Godard, à l’exception de son adaptation du Roi Lear en 1987, se fait alors discret.
Les films de Rohmer à l’époque mitterrandienne peuvent être considérés comme une inversion du travail de la Nouvelle Vague dans la France gaulliste : gouvernement de gauche, style conservateur. En 1986, une fois passé le choc révolutionnaire de la Nouvelle vague et le marasme des années soixante-dix, au cours duquel le cinéma français acquiert auprès du public britannique une réputation de films de série B grivois ou d’érotisme intellectuel, Jean de Florette (1986) de Claude Berri est un grand succès en Grande-Bretagne. Ce film séduisait le public étranger avec certains des motifs touristiques « patrimoniaux » les plus évidents que la France pouvait offrir : romance, agronomie, vignobles, beaux paysages.
Le Rayon vert, l’histoire d’une femme seule, Delphine (Marie Rivière), qui part en vacances dans une série d’endroits différents après une rupture, a profité de dans cette vague et est devenu un petit succès au Royaume-Uni, le Sunday Telegraph suggérant qu’il avait été réalisé après avis de l’office du tourisme français. Le film exploite en effet au maximum les qualités cinématographiques du paysage français : Marie Rivière erre à travers champs, montagnes et plages, avant de trouver la paix en observant le flash de lumière verte éponyme qui accompagne le soleil couchant. Le succès de ces films au Royaume-Uni dépendait en partie de leur représentation d’un certain style de vie français. il n’était pas nécessaire de réserver un forfait de vacances pour profiter par procuration des visions rustiques et touristiques servies à l’écran.
De la campagne de toujours à Cergy-Pontoise
Toutes les Comédies et Proverbes ne se déroulent pas dans une campagne pittoresque, ni même à Paris. Les Nuits de la Pleine lune (1984) et L’Amie de mon amie (1987) utilisent largement les banlieues parisiennes brutalistes nouvellement construites, moins courantes dans le cinéma français de l’époque. Comme dans Le Rayon vert, les intrigues de ces films tournent autour de personnages dans des situations interstitielles. Dans le premier, Pascale Ogier incarne une femme déchirée entre son amant de banlieue et une vie plus bohème à Paris. Dans le second, Emmanuelle Chaulet et Sophie Renoir jouent des amies qui passent maladroitement d’amoureux en amoureux. La caméra de Rohmer s’attarde sur les personnages qui se frayent un chemin, souvent sans but, à travers des immeubles de banlieue en béton, aux lignes architecturales épurées. L’Amie de mon ami, de manière inhabituelle pour Rohmer, contient un certain nombre de plans larges d’ensemble, montrant la disposition complexe des logements, des magasins et des collèges qui composent la ville nouvelle de Cergy-Pontoise, dans la banlieue nord-ouest de Paris.
Rohmer n’avait pas qu’un intérêt cinématographique pour ces villes nouvelles. Il ne s’est pas contenté de les utiliser comme lieux de tournage des Comédies et Proverbes ; il fut lui-même consultant pour le développement de Cergy-Pontoise. Après être intervenu lors d’une conférence de la Communauté d’agglomération en 1984, il est recruté au sein du comité de parrainage et de développement de la ville. La biographie de Rohmer révèle qu’il pensait que l’architecture brutaliste donnait forme aux « espoirs, aux idéaux et aux déceptions » de ses personnages, mais son intérêt pour ces nouveaux lieux n’était pas tant utopique que pragmatique : pour lui, les villes nouvelles et les banlieues étaient nécessaires pour mettre fin à la défiguration des villes françaises par l’architecture moderne. Le modernisme n’est pas en soi un problème – « le modernisme n’est pas seulement la laideur, écrit-il, il faut apprendre à la voir » – mais il peut ternir le patrimoine d’une ville française traditionnelle. Il estimait qu’il s’agissait de formes immature, dont la présence même entachaient rétrospectivement la pureté de l’architecture traditionnelle.
Tout au long des Comédies et proverbes, Rohmer fait allusion à un lien entre l’absence de profondeur des personnages et la « médiocrité de la construction » de l’architecture moderne dans laquelle ils vivent. Malgré son approche prétendument bazinienne, son implication dans le développement des environnements construits dans lesquels les films se déroulent suggère un degré de contrôle de la mise en scène sans précédent, inconnu même du plus autoritaire des auteurs, et pourtant ce rôle reste invisible pour tous ceux qui regardent le film.
Dans ses œuvres ultérieures, le masque de l’invisibilité commence à glisser davantage. Dans L’arbre, le maire et la médiathèque (1993), l’approche absolument classique des Comédies et proverbes est remplacée par quelque chose de plus polémique. Le cadre est le village de Saint-Juire-Champgillon, où le maire socialiste, surtout intéressé à voir sa maîtresse à Paris, propose une grande médiathèque moderne au milieu du village. Le succès de ce projet doit lui permettre de prendre pied dans la politique nationale, et c’est pour lui le moyen de quitter le village et de retourner à Paris. Un instituteur local, joué par Fabrice Luchini, un habitué de Rohmer, lance une campagne contre ce projet pour des raisons de tradition et d’environnement – les dommages éventuels causés à un arbre local deviennent un élément clé de la campagne – et la comédie se termine par l’abandon du projet fait de l’instabilité du terrain. Le terrain lui-même rejette l’architecture.
Le film met en scène un dégoût devant la destruction de la France rurale par une classe métropolitaine et la déréglementation qui permet aux politiciens locaux de la mener à bien. Cela se manifeste également dans L’arbre par un intérêt pour l’environnementalisme et la conservation. Alors que la politique environnementale est souvent associée à la gauche, elle a des liens plus étroits avec la droite en France, avec le ministère de l’environnement créé en 1971 sous Georges Pompidou, l’ancien premier ministre de de Gaulle. Pendant le tournage de L’Arbre, Rohmer a même écrit une chanson sur sa vision d’un avenir français plus rural, intitulée « Nous vivrons tous à la campagne », qui aborde la préservation de l’environnement naturel comme une question de patrimoine national. Le film marque une tendance dans l’œuvre de Rohmer où la politique de droite se mêle plus visiblement à son esthétique : le progrès en politique est ici associé à un gauchisme décadent. Contrairement à la forme plus dialoguée des Comédies et des Proverbes, L’Arbre cherche spécifiquement à problématiser les valeurs libérales en les associant à une trahison intéressée du nationalisme. Le film est sorti en France au moment où le gouvernement Mitterrand, paralysé par ses résultats désastreux aux élections législatives de 1993, entrait dans sa phase crépusculaire et où la France se droitisait avec Jacques Chirac.
Un film ouvertement conservateur
La dernière décennie de la vie de Rohmer, avant sa mort en 2010, le voit abandonner complètement la France moderne au profit de drames historiques et mythiques. Parmi ces films tardifs, le drame de l’époque révolutionnaire L’Anglaise et le Duc (2001) a suscité la controverse en France en raison de sa position royaliste. Le film dépeint la relation entre Louis Philippe II, duc d’Orléans, et l’espionne écossaise Grace Elliott, qui s’est terminée par l’envoi du duc à la guillotine. Le film est manifestement du côté de l’aristocratie ; les révolutionnaires y sont dépeints comme une foule sauvage et incontrôlée. C’est aussi le film le plus artificiel de Rohmer, qui utilise la photographie composite numérique pour distinguer les intérieurs et les extérieurs, ce qui donne à Rohmer un degré de contrôle sans précédent sur l’environnement. Ici, la France prend l’aspect d’une toile peinte passant devant la fenêtre d’une voiture, ou d’un panorama numérique vu du haut d’une colline.
C’est le film le plus ouvertement conservateur de Rohmer, et le plus expérimental sur le plan esthétique. Les effets visuels picturaux suggèrent un éloignement du réalisme bazinien des Comédies et Proverbes, au profit de quelque chose qui ressemble davantage à un mythe de la France aristocratique, mais la juxtaposition de ces paysages artificiels avec l’action violente de la Révolution efface également le ton décontracté des films précédents. En rendant le paysage plus artificiellement attrayant et la politique plus visible, le film a opéré sur moi une sorte de mise à distance, notamment parce que dans sa nostalgie picturale de l’aristocratie, il me confrontait à l’inverse de ma fétichisation de la France : la fétichisation française de l’aristocratie britannique.
L’été dernier, au beau milieu de mon délire Rohmer, la presse demandait à Liz Truss, alors principale candidate au poste de premier ministre, si la France était une amie ou une ennemie. Sa réponse, « the jury’s out, a provoqué la consternation internationale et incité Emmanuel Macron à suggérer que le Royaume-Uni ne perde pas trop ses repères. La fanfaronnade de Mme Truss, largement tournée en dérision pour sa naïveté diplomatique, n’était bien sûr que l’écho de la vieille francophobie et europhobie populistes de la presse britannique. Ces idées que les Britanniques ont sur les Français, sur cette France qui est l’incarnation de tout ce qui n’est pas britannique, conservent une certaine force politique.
Je me rends compte que c’était ce qui m’attirait le plus dans les mises en scène d’Eric Rohmer, à une époque où la culture britannique se montrait si étroitement provinciale. Leur atmosphère si française et cet effacement de l’Auteur me servaient de refuge, de lieu de méditation, de réconfort. Il présentait ce qui me semblait être un monde plus complet, un monde meilleur, que celui de ma petite île nationaliste. Mais mon goût pour son style si parfaitement lisse et transparent, qui témoignait de mon envie d’évasion, me dissimulait l’influence de la politique dans son esthétique. Éric Rohmer, ou Maurice Schérer, n’est jamais parvenu à s’effacer complètement, et on se comprend mieux soi-même quand on le découvre.
David Hering
Cet article est paru en version anglaise dans l’excellente revue britannique The Point, le 16 mai 2023, sous le titre Over the Water Éric Rohmer after Europe.
David Hering enseigne la littérature et l’esthétique à l’Université de Liverpool. Il est aussi auteur de fictions.
Les intertitres et l’iconographie sont les choix de Contreligne.
Notes
↑1 | En 1990, un célèbre article du Sun s’en prenait au président de la Commission d’alors, Jacques Delors, pour avoir exporté des « produits alimentaires douteux », promu une monnaie européenne unique et interdit le bœuf britannique. |
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