Churchill ou Renan

C’est un cliché du discours politique depuis les débuts de la crise, dans les années 70. L’honorable Jacques Julliard, l’historien des gauches, vient de l’employer tout récemment encore : les hommes politiques, le gouvernement devraient, dit-on, tenir au peuple un discours churchillien, représenter à tous la gravité de la situation, et promettre, devant l’adversité, de la « sueur et des larmes ». En d’autres termes, il leur faudrait exhorter au courage, à la ténacité, et ne pas chercher à plaire.

Devant le danger hitlérien, en mai 1940, Churchill avait toutes les raisons de parler ainsi. Dans le contexte français, ceci est artificiel et même assez déplaisant.

Comme si le monde politique pouvait se considérer comme une pure voix qui s’adresse à la population, à laquelle il faudrait dire son fait et cesser de mentir, alors qu’il est en France, en lui-même, un élément du problème. Forçons le trait : nous avons en France un problème de nombre et de qualité de la représentation politique, sans parler de sa longévité qui est, semble-t-il, bien au dessus de la moyenne. Trop d’élus, trop d’élus médiocres et qui en plus restent en fonction trop longtemps, en surplomb d’une technocratie que le monde ne nous envie pas, le tout formant un ensemble qui ne s’est pas fait remarquer par sa prescience et son habileté. La gauche de gouvernement a-elle su donner une culture économique à son électorat ? La droite ne s’est-elle pas compromise dans le populisme xénophobe ? Dans les deux cas, c’est la pente de l’arrangement et de la facilité que les deux grands partis ont choisi de suivre, si bien que nous avons une gauche incohérente et une droite médiocre. Est-ce tant forcer le trait ? La comparaison avec la seconde investiture du président Obama laisse songeur et attristé.

Le problème du topos churchillien ne tient pas seulement à ce paternalisme à fins d’auto-absolution. C’est surtout qu’il ne correspond pas à la situation française.

Au lieu de Churchill, il vaudrait mieux Renan et sa Lettre sur la réforme intellectuelle et morale de 1871, même si son pessimisme réactionnaire l’éloigne de nous (mais Renan ne  pouvait imaginer ce que serait l’oeuvre de la IIIème République)  : une analyse raisonnée du déclin de la nation, de la défaite, de ses causes et de ce qui permettrait le rebond. Non pas une exhortation aux électeurs, comme on parle aux enfants ou à une troupe, mais un propos public, construit d’abord à destination des élites, auxquelles on signale les travers, les vices de tous les milieux et que l’on met devant leurs responsabilités au nom de l’intérêt national.  Discours plus difficile à concevoir qu’une pure admonestation du bon peuple.

Laissons d’autres comparer sérieusement, en érudits, ce que décrit Renan dans sa Lettre et ce que nous connaissons aujourd’hui.  Risquons ceci seulement.

D’un coté, en 1871, la France qui perd l’Alsace-Lorraine par suite d’une guerre inutile, guerre que la paysannerie et la province, amollies par la prospérité, ne voulaient pas, et que les élites du temps, médiocres, ne surent pas mener ; une médiocrité intellectuelle dans tous les milieux qu’on n’avait pas vue depuis longtemps et, dit Renan, un catholicisme  qui fait de l’imbécillité vertu.

De l’autre, à l’heure actuelle, un déclin économique qui n’est plus un objet de débat mais un fait ; une classe moyenne isolée des aléas économiques, quand elle exerce dans le secteur public ou dans les grandes entreprises, qui protège son style de vie sans considération du reste ; des élites politiques et économiques de qualité très variable, rarement remises en cause, et qui s’illustrent souvent par leur goût des richesses matérielles ; une baisse du niveau général de l’enseignement ; un système médiatique qui décervelle l’opinion.

Arrêtons-là !

Serge Soudray

Discours du 13 mai 1940 :

« I say to the House as I said to ministers who have joined this government, I have nothing to offer but blood, toil, tears, and sweat. We have before us an ordeal of the most grievous kind. We have before us many, many months of struggle and suffering. 

You ask, what is our policy? I say it is to wage war by land, sea, and air. War with all our might and with all the strength God has given us, and to wage war against a monstrous tyranny never surpassed in the dark and lamentable catalogue of human crime. That is our policy. »

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