Nous avions eu l’occasion de conseiller à nos lecteurs une visite à la Fondation Giacometti, rue Victor-Schœlcher, dans le 14e arrondissement de Paris. L’exposition Giacometti /Morandi, Moments immobiles est une nouvelle raison de s’y rendre.
Giorgio Morandi (1890-1964) est l’un des peintres italiens les plus célèbres du XXème siècle, mais il n’a pas le rang de star internationale qui est celui d’Alberto Giacometti. Les œuvres présentées sont néanmoins captivantes, et dans leur simplicité, conduisent à des idées et des impressions qu’on peut difficilement s’imaginer avoir devant des flacons, des bouteilles et des brocs d’eau… Ce sont les objets que Morandi peint très souvent, dans des natures mortes qui ne comportent jamais de fruits ou de fleurs. Elles sont minérales, inanimées et donc imputrescibles ; le temps ne les atteint pas.
Au centre de sa toile, Morandi regroupe boîtes, flacons, théières, brocs, carafes dans des arrangements variés, mais dans lesquels, subtilement, l’une des formes attire toujours le regard plus que les autres, par sa taille, sa forme, sa couleur et par le fait que les autres formes s’ordonnent autour d’elle sur le plan chromatique ou géométrique. Les objets sont transformés en simples formes, en silhouettes au contour tremblé. Ce sont des fantômes d’objet, sans corporéité, impression accentuée par les teintes crayeuses qu’il emploie souvent.
Ce contour tremblé et la modestie de ces objets du quotidien l’éloignent de Giorgio de Chirico, auquel on l’associe parfois, dont le trait est plus net et qui a le goût des formes architecturales antiquisantes. Ce que représente Morandi n’a pas d’histoire, comme en aurait une colonne romaine ou un buste de l’Antiquité.
L’idée saugrenue qui vient, c’est que Morandi se représente, qu’il se peint lui-même. Ses carafes et ses bouteilles, ce sont des autoportraits, ou du moins il est l’une d’elles, l’homme de base de la composition, ce soldat qui sert de référence pour tout le peloton durant la marche en ordre serré. Morandi était de haute taille, et on l’imagine bien en flacon le plus grand, le plus élancé, dominant les théières et les pichets, au barycentre du tableau.
La façon dont Morandi signe ses tableaux est troublante : au lieu d’une griffe personnelle dans le coin droit en bas, son nom est souvent inscrit au milieu de la toile, en haut, dans une dimension plus grande que d’ordinaire. On songe moins à la signature de l’auteur qu’à une légende qui indiquerait ce qui est représenté. Très souvent aussi, la signature est presque effacée par une légère couche de peinture, comme s’il effaçait son nom ainsi qu’il a effacé la matérialité des objets. L’épure des formes est associée à l’épure du nom.
Cette jolie exposition permet toutes sortes de réflexions, et l’on se dit qu’il faudra compléter ce qu’on lit dans le catalogue par une visite à Bologne, au musée Morandi.
Nadia Trétaigne
Du 15 nov. 2024 au 2 mars 2025, GIACOMETTI/ MORANDI. MOMENTS IMMOBILES, en collaboration avec le Settore Musei Civici Bologna | Museo Morandi.
À l’Institut Giacometti, 5 rue Victor-Schœlcher, 75014 Paris
Affiche reproduite ci-dessus : Giorgio Morandi, Natura morta, 1944, Centre Pompidou Mnam / Cci Bertrand Prevot Dist. RMN CP Adagp Paris, 2024; Groupe de quatre sculptures en plâtre, vers 1946, Marc Vaux, Archives Fondation Giacometti, Paris © Succession Alberto Giacometti / Adagp, Paris 2024 Centre Pompidou / MNAM-CCI / Bibliothèque Kandinsky, Fonds Marc Vaux