En 1978, la Chine se lance dans une série de réformes économiques destinées à sortir le pays des années noires. La première étape fut de décollectiviser l’agriculture, d’ouvrir le pays aux investissements étrangers et de donner aux entrepreneurs la permission de créer des sociétés. La Chine s’éveillait. La seconde étape vit la disparition des politiques protectionnistes, la levée du contrôle des prix et la privatisation d’une large majorité des entreprises publiques, en dehors de la banque et de l’énergie.
Au milieu des années 90, le Brésil sortit de sa spirale inflationniste en accolant sa devise le Real au Dollar américain. Le « Plan real » élimina l’inflation avec succès. Les investisseurs ne s’y trompèrent pas et près de 25 millions de citoyens devinrent des consommateurs. En 2002, Luiz Inácio Lula da Silva, un ancien syndicaliste et activiste de gauche gagna les élections et mit en oeuvre une politique de redistribution. Le Brésil allait croître régulièrement entre 4 et 5 % sur les 10 années qui suivirent.
Le scénario sera le même pour de nombreux pays du Sud. Un mix de bonne gouvernance, réduction des déficits publics, ouverture des marchés intérieurs, lutte contre l’inflation, mise en place de politiques de redistribution, grands projets d’infrastructure, investissement dans l’agriculture et le secteur industriel a amené les marchés dits « émergents » à devenir des acteurs essentiels de l’économie mondiale.
Les IDE
Les investissements directs venus de l’étranger (IDE) ont immédiatement suivi selon une séquence qu’on retrouve souvent. D’abord s’installent les multinationales, à la recherche de matières premières, de centres de production ou de nouveaux marchés. Les compagnies globales ont bien été les premières à investir dans les pays émergents. Apple fabrique ses iPhone en Chine, Nike fabrique ses chaussures de sport en Indonésie et au Bangladesh, Carrefour est un géant de la grande distribution en Amérique Latine, Airbus vend ses avions aux pays émergents et Louis Vuitton vend du luxe à tous, du Moyen-Orient à l’Asie Centrale. Ce mois-ci, Estée Lauder vient de lancer une offensive marketing et de distribution vers l’Afrique où elle a décidé de promouvoir fortement ses marques de produits cosmétiques.
D’après le United Nations Conference on Trade and Development (UNCTAD) World Investment Report 2012, la bible en matière d’IDE, les investissements dans les pays en voie de développement ont augmenté de 11% en 2011 pour atteindre 684 milliards de dollars. Ces chiffres sont à mettre en relation avec les 21% d’augmentation à 748 milliards de dollars pour les flux vers les pays développés. Il est important de comprendre que les pays développés sont ceux qui attirent aujourd’hui le plus d’investissements avec les Etats-Unis en tête. Néanmoins, la vague d’investissement vers les pays émergents, les pays en transition et les pays les moins avancés, est durable et reste une tendance de long terme malgré les rééquilibrages annuels qui affectent chaque région. Les pays en développement représentent maintenant 45% des IDE. L’Afrique voit sa part décliner de 11% notamment à cause des désinvestissements en Afrique du Nord, mais par contre l’Afrique Subsaharienne a attiré près de 37 milliards de dollars, pas loin de son record historique.
Les fonds d’investissement
Comme on l’a dit plus haut, les multinationales avant tout, mais ensuite les fonds d’investissement qui investissent en achetant des actions de sociétés cotées sur les marchés émergents ou les places occidentales, enfin les fonds de Private Equity et les fonds souverains. La part des fonds souverains restent certes comparativement faible : ils ont investit 125 milliards de dollars en 2012 dont à peu près 25% vers les marchés émergents. Aujourd’hui, la zone qui reçoit le plus d’investissement direct de l’étranger reste l’Asie. Ce qui attire les investisseurs en titres de capital, ce sont les retours sur investissement. Sur l’année écoulée, le marché du Ghana est en hausse de 85%, celui du Pakistan de 67%, celui du Zimbabwe de 40% .
En 2012, des $200Mds investis dans des fonds de Private Equity, près de $40Mds sont partis dans des fonds dédiés aux marchés émergents. C’est la première fois que 20% de la collecte va vers les pays en voie de développement. Et le plus surprenant c’est que seulement $15Mds partiront vers les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ce sont $25Mds qui partent vers des pays comme la Colombie, le Pérou, L’Indonésie, La Malaisie ou l’Arabie Saoudite.
Visites en Asie : Indonésie, Birmanie, …
L’Asie est la zone de prédilection des investissements. L’Asie émergente a reçu 63% des fonds levés en Private Equity d’après EMPEA (Emerging Markets Private Equity Association). On notera que les fonds latino-américains ont augmenté leur part des fonds reçus de 10% en 2012 à 23% cette année 2013. La Chine reste ceendant le pays qui reçoit le plus d’investissements. D’après le Financial Times, la Chine, L’Inde et Singapour ont reçu 57% des projets d’investissement de la zone. En terme de taille de projets, l’Indonésie, le Pakistan, et la Corée du Sud ont tous trois enregistrés une croissance de plus de 70% après avoir signé des projets d’investissement de grande taille. Par exemple, la société chypriote Solway Group annonce un projet de $3mds pour une usine de nickel en Indonésie et le groupe émirati Al Ghurair annonce un plan de $700M pour une raffinerie de pétrole au Pakistan.
L’Indonésie est un des pays les plus attractifs de la région et ce n’est pas surprenant. Lors d’une récente conférence organisée par l’agence de promotion des investissements en Indonésie, j’ai rencontré le maire de Batam. La conférence était dédiée aux opportunités en infrastructure. Le gouvernement avait fait venir pour l’occasion, ministres, représentants du transport et responsables de projets. Nous furent présentés, un projet d’aéroport, une autoroute, une voie ferrée et un système de traitement des déchets, quatre projets à la recherche de financement.
Batam est une des îles de l’archipel indonésien située juste en face de Singapour, c’est un lieu de villégiature qui attire de nombreux touristes chaque année.
Batam a cependant un problème, un problème commun à de nombreux pays émergents et qui illustre bien la vague d’investissements qui a touché les pays émergents. En passant de moins à plus de $1 par jour, la population a maintenant accès à de nombreux produits emballés. Là où nombre de citoyens produisaient peu de déchets car ils mangeaient chez les vendeurs de rue, l’élévation du niveau de vie a entrainé une production de déchets qui a prit la ville par surprise. C’est toute l’Indonésie qui fait face au même défi. Le système de traitement des déchets a Batam est un projet pilote qui intègrera collection, retraitement, éducation de la population et potentiellement production d’énergie, d’engrais et récupération des produits triés, métaux, électroniques et autres minéraux qui seront renvoyés vers Java pour traitement.
Le maire de Batam est un personnage affable et souriant. Très fier de sa ville, il nous expliquait à quel point son île a changé de son vivant. Il est à la recherche d’un partenaire international, une entreprise spécialisée dans le traitement et de co-financeurs. Il a le support du gouvernement et des plans d’incitations ont été mis en place, tel des exonérations de taxe. Des projets comme celui de Batam sont les fers de lance de l’investissement en pays émergent. L’Indonésie n’est toujours pas un pays facile à naviguer. Carlyle et KKR, deux fonds d’investissement américains ont levés des centaines de millions pour y investir. Carlyle vient tout juste d’investir $42M dans Tiga Pilar Sejahtera, un fabricant de snacks, coté à la bourse de Jakarta. Il demeure cependant extrêmement difficile d’investir en Private Equity en Indonésie, tout est relation, les entreprises sont contrôlées par des familles qui n’ont pas de besoin ou envie de financement internationaux.
De plus la culture locale n’est pas forcément ouverte à la transparence. Certaines entreprises acceptent mal de devoir divulguer leurs comptes, leurs processus de production, et quant à recevoir des équipes d’auditeurs externes dans un processus de due diligence qui va couvrir tous les aspects de l’entreprise, de l’environnement aux salaires, bonus, et notes de frais … ! Ces mêmes difficultés font qu’aujourd’hui il y a seulement deux sociétés cotées à la bourse du Cambodge et une seule sur celle du Laos. Les choses évoluent lentement mais elles évoluent quand même.
La Birmanie s’est ouverte et les investisseurs s’y précipitent. Après des années de dictature, les prisonniers politiques ont été libérés, des élections sont prévues et le pays s’ouvre lentement au tourisme et aux investissements étrangers. Léopard Capital, un fonds d’investissement spécialisé en marches frontières a lancé un fonds dédié à la Birmanie. Le pays est idéalement situé entre le Laos, la Thaïlande, la Chine et L’Inde. Il est riche en ressources naturelles, jade et émeraudes bien sûr, mais surtout en pétrole et gaz, on-shore et off-shore. La communauté internationale s’organise pour lever les sanctions économiques et offrir un soutien financier via le FMI et la Banque Mondiale.
Le pays bénéficie d’attractions touristiques uniques et sanctuarisées par trente années de fermeture du pays. La population est jeune, éduquée et prête à travailler pour des salaires compétitifs. Myanmar a tout pour devenir un des pays les plus prometteurs en termes de croissance dans la décennie qui vient. Bien sur, les anciens militaires contrôlent l’essentiel des entreprises du pays, et les Roghinas, la communauté musulmane est persécutée par des moines bouddhistes qui les chassent massivement vers les pays voisins sans intervention de l’armée ou de la police. Le pays a tout à construire mais la page qui s’ouvre est blanche et prometteuse.
Le Sri Lanka, sorti de la guerre civile avec les Tigres Tamouls, les Philippines laissent derrière eux très progressivement les pires années de l’après-dictature, et tous ces pays se rapprochent des leaders de la région, encore loin de Singapour, de la Malaisie, de Taiwan ou Shanghai, mais ils sont bien avancés. Et nombre d’entre eux construisent des ponts avec le reste du monde, investissant en Amérique Latine et en Afrique, la Chine la première.
L’engouement pour l’Afrique
L’Afrique est devenue une des zones les plus actives en Private Equity, et en Capital Markets. Bien sur les investissements en extractions de matières, premières sont les plus fréquents et les plus massifs. Il est par contre essentiel de reconnaitre l’envolée du secteur des télécoms. Les investissements d’Helios dans les Tours Antennes de téléphonie en sont la preuve. Les grands groupes de Private Equity ont maintenant tous un fonds dédié à l’Afrique.
Longtemps, l’Afrique du Nord a été la cible préférée des investisseurs étrangers. En Afrique Sud saharienne, les investissements directs venus de l’étranger ont cru progressivement de $13Mds en 2004 à près de $33Mds en 2007 et plus de $43Mds en 2011 d’après l’UNCTAD et l’AFDB. Les secteurs de prédilection sont les produits de consommation, suivi par l’industrie, les matériaux et l’énergie. Les services financiers au Nigeria, les télécoms en Afrique du Sud, les technologies au Kenya et au Rwanda, nombreux sont les secteurs hors matières premières qui attirent les capitaux.
Aujourd’hui l’Afrique performe sur tous les plans. Les pays africains sont très peu endettés en comparaison des pays occidentaux. Des pays comme le Ghana, le Kenya, le Rwanda et Le Kenya, ont bénéficié d’un mélange de bonne gouvernance, d’équilibre fiscal, de lute contre l’inflation, d’investissement en infrastructure et mesures gouvernementales pour attiré les investissements étrangers. Aujourd’hui l’Afrique représente 16% de la population mondiale et 23% en 2030. L’Afrique attire aujourd’hui 4% des IDE contre 6% pour la Chine et 2% pour l’Inde. C’est aussi et surtout un continent qui sort des millions de citoyens de la pauvreté chaque année.
En Janvier 2010, Maxim Pinkovskiy, du Massachusetts Institute of Technology et Xavier Sala‐i‐Martin, de l’Université de Columbia ont publié un article intitulé « La pauvreté diminue en Afrique et bien plus vite que vous ne l’imaginez ! » (African Poverty is falling…Much faster than you think !). Leurs travaux estiment que le taux de pauvreté – la part de la population qui vit avec moins de $1 par jour – est passé de 4,28% en 1995 à 3,18% en 2006. D’après le président de la banque Africaine de Développent, une douzaine de pays africains vont croître de plus de 7%, et seulement 5 d’entre eux sont lourdement dépendants de leurs exportations de pétrole et de gaz. 27 autres vont croître à plus de 5%. L’Afrique a tout pour attirer les investisseurs. Les projets d’infrastructure se multiplient, comme l’autoroute qui reliera bientôt Dakar à Bamako. Les besoins en électricité sont énormes et les projets en hydroélectricité comme le barrage sur le fleuve Congo en République Démocratique du Congo font partie des initiatives qui tendent à y répondre.
Obstacles et nouveau concepts
Il reste néanmoins de nombreux obstacles à surmonter.
Hier, le Maroc était le pays préféré des investisseurs en Afrique du Nord. MSCI, la société américaine qui crée des indices utilisés en gestion d’actifs vient de déclasser le pays de “emerging markets” à “frontier markets”. D’émergents à frontières, cela veut dire moins de liquidités, moins de fonds investis, et la bourse du pays est en baisse depuis. L’Algérie n’a jamais ouvert son marché boursier aux investisseurs étrangers et la bourse du pays est quasi inexistante. La Libye est devenue impraticable ; la Tunisie est mise sous observation par les investisseurs et l’Egypte est maintenant sortie de leurs champs de vision.
Hier, l’Egypte était pourtant la terre de tous les espoirs. Le plus gros fonds de Private Equity de la région, Citadel Capital, un groupe coté sur le marché du Caire a multiplié les opérations avant la chute de Mubarak. Achat et redressement de raffineries, investissement en ciments, Citadel était un « fonds modèle » pour la région. La période d’instabilité qui s’installe et qui risque de dégénérer en guerre civile a profondément changé « l’investment thesis » de l’Egypte. Malgré tout pour Mark Mobius par exemple, cela reste une période à passer. Un investisseur de long terme, s’appuie sur la diversification de ses actifs et sa patience. Mark Mobius a raison, l’Egypte redeviendra une destination forte pour les IDE. C’est une question de temps.
De nombreux fonds sont actifs en Afrique, de 8miles, le fonds créé par Bob Geldof a Ethos, Helios, et Actis. Tous ces fonds ont levé des centaines de millions de dollars pour investir sur le continent africain. Au premier trimestre 2013, les General Partners, ces gérants de fonds, du continent avaient levé 1,4Mds d dollars. Le quatrième fonds d’Ethos y étant pour beaucoup grâce à sa levée de 750M de dollars. Vital Capital a levé près de 350M de dollars pour son fonds spécialisés en éducation, logements sociaux, environnement et énergie. 2013 est en passe d’être une année de levée réussie avec pour objectif de dépasser les 3 milliards de dollars levés en 2011, mais encore loin des près de 5 milliards de dollars levés en 2007. 2007 détient encore le record de levée de fonds en Private Equity pour la région.
La fin de l’année risque d’être riche en levées avec les $500million de Carlyle et son Sub-Saharan Africa Fund ainsi que Satya qui prévoit de lever 300 M de dollars.
Lors d’une récente conversation avec un entrepreneur base au Kenya, je m’aperçut à quel point Nairobi était devenu un hub pour startups en technologie. On retrouve la même tendance au Nigeria ou des sociétés comme Wakanow.com, un voyagiste en ligne, se positionnent comme le expedia.com de la région.
Ce que veut l’investisseur
Les investisseurs sont à la recherche de sociétés de qualité, gérées aux standards internationaux, offrant des opportunités de croissance conséquentes, et l’Afrique en offre de plus en plus. Des antennes de téléphonie aux produits de consommation, les secteurs qui attirent les investisseurs se multiplient.
Les pays de destination eux sont pris dans des contradictions immenses, coincés qu’ils sont entre tradition et modernité, et prisonniers de réseaux de pouvoirs qui ont du mal à mettre en place des mesures de redistribution du type de celle du Brésil avec son allocation mensuelle qui permet aux familles d’envoyer leurs enfants à l’école. Ces allocations ont sorti des millions de familles brésiliennes de la pauvreté.
L’Angola, la Guinée Equatoriale, le Gabon, … seraient bien inspirés de traduire leur royalties pétrolières en programmes de lute contre la pauvreté. On en est encore loin, très loin. Les gouverneurs des provinces nigérianes sont connus pour leur goût des jets privés. Les transports publics sont quasi inexistants, le pays vit une pénurie de gazoline depuis près de trois mois et reste pourtant un des plus grands consommateurs de champagne du continent. Le Nord du pays est soumis aux attaques de Boko Haram, alors que le Sud reste incapable d’offrir à ses habitants les fruits des milliards de dollars qui viennent des puits de pétrole de la région. Pillages, sabotages, raffineries sauvages, et piraterie deviennent la seule voie pour des milliers de jeunes, obligés de choisir entre rebelles et sociétés secrètes aux mains des politiques locaux.
Le constat est encore plus cruel en République Démocratique du Congo ou en Angola, où la corruption prend des proportions telles que les parents des dirigeants deviennent officiellement milliardaires cités dans le magazine Forbes.
Mais rien de tout ça ne doit cacher la réalité. L’Afrique change vite. Ce n’est plus le continent de tous les maux, de la famine, à la guerre, la malaria, ou le terrorisme. Tous ces maux existent. Tous ces maux régressent, et les infrastructures progressent. L’Afrique d’aujourd’hui et l’Afrique d’il y a 15 ans sont deux réalités complètement différentes et ni l’angélisme de certains investisseurs ou le pessimisme de certaines ONG ne correspondent à une situation disparate, complexe, pleine de contradictions, mais déjà sur la route du succès.
Le Pérou
Un des pays émergents représentatif des évolutions de ces 20 dernières années est le Pérou. Peu de pays ont changé aussi rapidement et aussi profondément que le Pérou.
La guérilla marxiste du Sentier Lumineux a fait plus de 70 000 morts. Même s’il faut mettre au crédit de Fujimori, président de 1990 à 2000, pour avoir sorti le pays de l’inflation, pour la libéralisation des télécoms et l’ouverture du pays aux investisseurs étrangers, la gravité des scandales dans lesquels il a été impliqué a porté un dur coup à la démocratie péruvienne. Le pays est ethniquement très diversifié. Les indiens natifs des Andes vivent majoritairement dans des régions rurales, pauvres, peu desservies en transport et en services et sont longtemps resté en dehors des progrès dont bénéficiaient la population des villes, d’ascendance espagnole. Selon la Banque Mondiale, au cours des cinq dernières années, c’est cinq millions de péruviens qui sont sortis de la pauvreté. Le taux de pauvreté est passé de 50% au milieu des années 90 a 26% en 2012. Les disparités entre urbains et ruraux sont certes encore extrêmement fortes, avec 17% des urbains contre 53% des ruraux vivant en dessous du seuil de pauvreté.
Il reste qu’avec l’accroissement de la classe moyenne, le pays vit un véritable boom économique. Aujourd’hui près de 75% de la population vit dans les zones urbaines entrainant un cycle vertueux dans le secteur de la construction, de la production de ciment, avec un état investissant massivement dans les infrastructures du pays. Et le pays en a besoin, car même aux standards latinos américains, les infrastructures du pays restent faibles. Le Pérou est le premier producteur d’argent au monde et le second producteur de cuivre. Une dépendance forte aux prix des matières premières qui est à la fois la source de la richesse du pays et son talon d’Achille. Mais la croissance du Pérou s’est bâtie sur plus que cela. Tout d’abord, dès l’ère Fujimori, la banque Centrale met en place une politique de contrôle des taux qui élimine l’inflation. La rigueur budgétaire s’installe. Le pays commence alors à accumuler des réserves grâce à la montée des prix des matières premières. Selon la société Maximixe, les exportations en matières premières du Pérou ont atteint les $24Mds en 2010 dont $21Mds en minerais et 3 $Mds en pétrole.
A la fin de la première décennie du siècle la croissance des économies chinoises et brésiliennes entraine une pénurie de cuivre sur les marchés qui va durer jusqu’à la fin 2012, et profiter au Pérou. Le secteur manufacturier péruvien en profite et croît fortement grâce à un pool de consommateurs qui s’élargit.
Enfin les investisseurs privés et publics soutiennent des projets dans le pays. En 2008, le gouvernement lance un plan de stimulus pour soutenir l’économie et décide d’investit $13mds dans les logements sociaux, les transports et services de traitement des eaux et autres projets d’infrastructure. Selon la Banque Centrale du Pérou, sur la période 2010-2012, les investissements venus de l’étranger ont atteint les 40 milliards de dollars dont 12 milliards de dollars pour les hydrocarbures et les minerais.
Selon l’association du Private Equity et du Venture capital en Amérique Latine (Latin American Private Equity and Venture Capital Association) les fonds dédiés à la région ont levé près de $8Mds soit une augmentation de 20 milliards de dollars comparée à 2011 et un record sur les 5 dernières années. Un rapport de l’agence Reuters place la levée à plus de 11.6 milliards de dollars, soit plus du double de la levée de 2011. En 2012 toujours selon LAVCA, le Pérou recevait 4% des fonds levés pour l’Amérique latine, devant la Colombie, 1% et à égalité avec le Mexique. C’est le Brésil qui récupérait près de 80% des 10.3 milliards de dollars levés en 2012. En mai 2013, le groupe Nexus annonçait que son fonds dédié au Pérou, NG Capital Partners II, L.P, avait dépassé son objectif de $500m et clôturait à 600 millions de dollars. Le fonds précèdent, NG Capital Partners I, L.P avait levé 320 million de dollars en 2011. Le fonds 1 a maintenant des participations dans la grande distribution avec les Supermercados Peruanos, la restauration, les services financiers, la décoration d’intérieur, et l’éducation.
Le groupe Carlyle a ouvert un bureau à Lima et a levé 308 million de dollars pour le Carlyle Peru Fund, L.P. Carlyle investira en consultation avec Credicorp, la plus grosse banque du pays. Le fonds cible des investissements en distribution, minerais, construction, infrastructure et éducation. Le pays regorge d’entreprises de taille moyenne possédées par des familles, et le Private Equity y est très peu développé offrant un univers de croissance considérable aux fonds qui s’y installent.
Les projets se multiplient, tels que les projets en énergie solaire comme le Tacna et Panamericana soutenus par Conduit capital et la banque de développement en Amérique latine. A la restauration telle que l’investissement d’Aureos Capital dans Acuriores restaurants et sa chaîne de 32 restaurants dans 19 villes.
Mais le Pérou reste un pays difficile, certains projets miniers ont dû être abandonnés à cause d’études environnementales bâclées et d’une pression constante des citoyens locaux et des associations écologistes. On craint une résurgence du Sentier lumineux, moins violente mais plus insidieuse via des réseaux de narcotrafiquants et la corruption. La dépendance envers les matières premières se paye avec un prix du cuivre en baisse à cause ralentissement de l’économie chinoise. Tout cela au moment où le président récemment élu, essayait de réformer le service public. Les grèves se multiplient dans le secteur de la santé, le tout aggravé par une épidémie de grippe AH1N1 qui a déjà fait 44 morts sur plus de 700 cas. Selon le LA Times, le pays est très divisé sur les projets miniers, les communautés indigènes s’y opposent massivement avec plus de 223 manifestations ou conflits depuis le début de l’année. De ce fait les investisseurs reculent, et Vial Quinua vient d’annoncer son retrait d’un projet majeur de construction d’autoroute dans le sud du pays à cause suite aux menaces d’extorsion du sentier lumineux. Le président a été élu avec les voix du peuple, des indigènes, des fonctionnaires qui aujourd’hui manifestent massivement contre sa politique. Il est affaibli par l’arrestation de Nancy Obregon, l’un de ses alliés et ex-député, emprisonnée pour trafic de drogue et terrorisme. Le président a en outre déçu sa base avec la nomination de six juges à la cour constitutionnelle et de trois membres de la Banque Centrale, tous issus de l’époque Fujimori et des escadrons de la mort. La nomination de l’avocat de Fujimori a mis le feu aux poudres.
La démocratie péruvienne est résiliente, et les manifestations citoyennes du moment rappellent celles du Brésil : des hommes et des femmes de la classe moyenne, déçus des promesses non-tenues du gouvernement de gauche aussi prompte que leurs prédécesseurs à mettre en place un réseau de corruption et de favoritisme. Mais le bilan de Ollanta est loin d’être négatif, même avec un taux d’approbation a 32% – un record pour un président élu – il y a deux ans, il bénéficiait encore d’une économie qui a crû de 6% en 2012 et un taux de chômage tombé en dessous des 6%. La route est longue avant que le Pérou ne se rapproche de ses voisins plus fortunés, mais d’années en années, avec ses batailles et ses contradictions, le pays avance.
Le risque politique et la façon dont les investisseurs l’appréhendent.
Dans un article publié dans la Harvard Business Review, sur le retour du risque politique sur les marchés émergents, Ian Bremmer, fondateur de Eurasia Group et expert du risque politique met en exergue les éléments du « nouvel environnement ». La croissance mondiale repose maintenant sur les pays émergents, même si la richesse reste entre les mains des démocraties occidentales. La croissance de la production sur laquelle repose la création de richesse reste et restera dans le futur proche entrainée par les grands pays émergents et les marchés dits frontières. Selon Bremmer, ce n’est pas une bonne nouvelle. L’Amérique empêtrée dans sa dette et l’immobilisme de Washington va se sortir très lentement de la crise et sera incapable de réellement peser sur le jeux mondial dans les années qui viennent. L’attitude d’Obama face aux crises syriennes et égyptiennes tend à corroborer sa thèse. L’Union Européenne, reste concentrée sur la refonte de son pacte de stabilité. Et dans le jeu politique global, hors l’intervention de la France au Mali, les européens ne sont plus vraiment des acteurs majeurs.
Il reste donc la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, l’Afrique Du Sud, pays qui s’impliquent un peu plus chaque jour dans les affaires du monde, projettent leur force et/ou leur diplomatie à l’extérieur et que Bremmer considère comme « immatures ».
Tout d’abord ces zones émergentes sont elles-mêmes des zones à risque. On le voit avec la multiplication des conflits maritimes de la Chine, conflits motives par des ressources sous marines des eaux frontalières avec les Philippines, le Vietnam, et maintenant le Japon. Les Etats Unis ont fait de l’Asie la priorité de leur pivot stratégique ce qui ne fait que renforcer les risques d’instabilité de la région. C’est aussi vrai du Moyen-Orient, ou la Turquie, l’Arabie Saoudite, l’Iran, et le Qatar se concurrencent pour imposer leur modèle, aux plus petits pays plus volatiles. Les médias arabes ont systématiquement reporté les « interférences » réelles ou supposées des grands pays arabes, avant, pendant et après les révolutions de 2011. On a aussi vu de nombreux articles sur le rôle joué par l’Afrique du Sud dans la crise qui a secoué la République Centre Africaine.
Et ces pays ne sont eux mêmes pas à l’abri d’instabilités internes avec pour cause première, la croissance de la classe moyenne. Selon l’OCDE ce sont 31 millions de brésiliens qui rejoignent la classe moyenne entre 2001 et 2009.
L’Asie qui compte un quart de la classe moyenne mondiale devrait voir sa part doubler d’ici 2020. Cela peut paraître contre intuitif mais des citoyens consommateurs, mobiles et connectés ont maintenant les moyens de demander plus de leurs gouvernements et cela même dans les régimes autoritaires. On a vu cette tendance se confirmer récemment au Brésil, au Pérou, en Turquie, en Chine et au Mexique. Il faut comprendre que même les révolutions arabes de 2011 arrivent après dix années de croissance en Tunisie, Libye, Syrie, Egypte qui ont vu l’explosion des télécoms, de l’immobilier, de l’exploitation des ressources et l’éclosion d’une classe moyenne de plus en plus frustrée par son incapacité à influer sur les structures politiques du pays alors qu’elle accède à la consommation, à plus de liberté de mouvement et à plus d’information. Il est à craindre que la récente décélération de la croissance des pays émergents même de quelques points ne fasse qu’accélérer la tendance, avec de sérieuses répercussions politiques et sociales.
Face à ces changements, les multinationales et les fonds d’investissement se protègent grâce à la diversification, la flexibilité et le développement de l’arbitrage international. Pour les acteurs de l’investissement, la diversification des actifs dans des zones décoréllées l’une de l’autre est essentiel. Les fonds savent que leurs investissements au Kenya ne seront pas ou peu affectés par un changement de politique en Argentine. De plus, nombre de marchés frontières sont globalement décoréllées des marchés émergents et développés, bien sûr ils restent sensibles à des fuites massives de capitaux. Par exemple, l’Indonésie a été très peu voire pas impactée par la crise de 2008. Avec un immense marché intérieur, des énormes projets d’infrastructure et une classe moyenne dynamique et en pleine explosion. N’étant que peu dépendant de ses exportations en matières premières, le pays est sorti renforcé de la crise et a offert durant celle-ci, un havre de stabilité et de croissance pour des investisseurs à la recherche de retour sur investissement.
Un marché secondaire en cas de difficultés et l’arbitrage en cas de litige
Quand tout se passe bien, les marchés émergents offrent aujourd’hui de nombreuses opportunités de « sortie » aux investisseurs, que ce soit par la revente à d’autres fonds, des opérations de fusions-acquisitions ou des entrées en bourse. Les multinationales ont maintenant aussi la possibilité de revendre leurs actifs à ces nouveaux acteurs que sont les fonds souverains et les entreprises publiques chinoises et brésiliennes.
En cas de crise, le vendeur accepte souvent un discount sur son actif du fait de l’aspect parfois distressed de la vente ou parfois aussi, à cause des pressions exercées par le pays hôte. Les procédures d’arbitrage international impliquant des investisseurs et des pays hôtes, concernant en particulier les renégociations de royalties sur les contrats d’extractions de matières premières, se multiplient ces derniers temps. L’arbitrage est en effet le mode privilégié de réglement international des différends en pays émergents.
Pour le reste, les investisseurs se prémunissent des conséquences des crises de toute nature qui pourraient survenir grâce aux procédures d’assurance export, à l’utilisation de sociétés de conseils spécialisées en risque politique, et au travail avec des experts et des analystes comme ceux de Startfor, Eurasia Group, Control Risk, Roubini Global Economics ou Business Monitor International. Ces sociétés offrent des analyses et des alertes immédiates sur les points chauds de la planète et suivent le risque politique en temps réel.
Les marchés émergents font aujourd’hui parti de nos vies, le monde s’est rétréci, les flux de capitaux, de produits, d’idées et d’hommes ont toujours marqué l’histoire de la planète mais jamais à une vitesse comparable à celle d’aujourd’hui. Il faut surtout garder à l’esprit que les flux vont maintenant dans les deux sens. Sur l’année écoulée, les coréens du sud sont maintenant les quatrièmes plus gros investisseurs en immobilier aux Etats Unis.
Il n’empêche que ce mouvement est une opportunité inespérée pour l’homme du 21ème siècle pour construire un monde où tous les jours des millions de ses semblables sortent de la pauvreté et rentrent dans une classe moyenne où les aspirations à plus de liberté, à plus d’égalité sont les nécessaires étapes de son développement. Ce monde qui se construit en ce moment de Lima à Lagos, de Yangoon, à Ulan Bator est loin d’être figé. Il est ouvert à toutes les influences. Il n’y a aucune obligation qu’il soit uniquement marqué par les éternelles inégalités des systèmes libéraux ; dans ce monde tout est à construire, et en particulier les idées qui le régiront.
Melvin Manchau