Selon la légende, le terme de « péplum » aurait été popularisé par un groupe de cinéphiles des années 50, et par Bertrand Tavernier en particulier. Laissons cependant les spécialistes expliquer la naissance et le développement du genre péplum, et pourquoi il paraît connaitre aujourd’hui un nouvel âge d’or. Ce serait le troisième depuis la naissance du cinéma. Observons seulement que dans la cinéphilie des 50 dernières années, le péplum n’a jamais réussi à obtenir l’aura accordée au western, avec néanmoins une exception notable : Serge Daney a laissé une belle critique de Samson et Dalila de Cecil B. DeMille1.
La sortie du dernier Hercule, excellent dans sa catégorie et très supérieur au crétin 300 La naissance d’un empire (Noam Murro, 2013), est l’occasion de défendre ce genre dédaigné mais riche. On trouve dans le péplum d’excellents réalisateurs et tous les courants philosophiques et moraux. Pour ne prendre que les réussites anciennes ou récentes :
- le grandiose biblique avec Les dix commandements (Cecil B. DeMille, 1956),
- l’espérance évangélique, avec Ben-Hur (William Wyler, 1959),
- la fiction de gauche, avec Spartacus (Stanley Kubrick, 1960),
- l’analyse politique avec Jules César (Joseph L. Mankiewicz, 1953),
- la propagande néo-conservatrice, avec le premier 300 (Zack Snyder, 2006), censé rappeler que l’Occident a su combattre pour la défense de ses valeurs, de la liberté, avec le sacrifice des spartiates aux Thermopyles2,
- l’érotisme, avec Cléopatre en particulier (Joseph Mankiewicz, 1963) et toutes sortes de péplums italiens3, veine à qui l’on doit la belle danse des sept voiles de Rita Hayworth dans le Salomé de William Dieterle (1953),
- le fantastique, depuis Jason et les Argonautes (Don Chaffey, 1953).
Cum grano salis
Par comparaison, Hercule relève d’une catégorie qu’il crée probablement : le péplum rationaliste et démocratique. Les mythes de l’Olympe, les pouvoirs surnaturels du héros sont montrés avec un petit grain de sel. C’est une simple hypothèse qui pourrait bien ne pas être vraie, mais qui a le bonheur de donner à l’humanité la confiance en soi nécessaire au combat contre la violence et la tyrannie – comme une fiction bienvenue.
On voit d’ailleurs le neveu du grand Hercule, son aède personnel, fabriquer de toutes pièces les récits qui font sa légende, et le film fait exprès de rester dans l’ambiguïté quant à l’ascendance divine et à la réalité des pouvoirs surnaturels du héros. Est-il le fils de Zeus ou le plus doué d’une troupe de mercenaires au grand coeur ? Le film implicitement penche pour la deuxième hypothèse.
Politiquement, Hercule est un homme de gauche, dans une perspective où Rambo serait un homme de droite. Hercule méprise l’or qu’on lui remet. Il regarde le peuple de Thèbes avec compassion. Il sait transformer une troupe de citadins et de fermiers sans instruction militaire en une vraie armée (vieux thème des Sept samouraïs puis des Sept mercenaires). Il n’est pas préoccupé de sa gloire comme le Achille de Wolfgang Petersen, dans l’excellent Troie (2004) : ce n’est pas son registre. Hercule finit par se retourner contre un tyran sans coeur au nom du peuple. Au passage, il brise une idole de pierre, la statue géante de la déesse Héra.
Comme les péplums qui ont suivi Gladiator, le film accorde beaucoup d’importance à l’art militaire grec, au combat de hoplites, bouclier contre bouclier – on sait ce que Gladiator ou 300 doivent aux ouvrages de Victor Hanson sur le combat de hoplites comme forme typique de l’affrontement militaire occidental. D’où les scènes réussies d’entrainement et de confrontation, magnifiées par les effets spéciaux et les dédoublements numériques. Dans une époque où d’ailleurs à tort, le combat de fantassins parait désuet au regard des attaques aériennes et des drones, le péplum moderne fascine par sa description des corps-à-corps et l’emploi exclusif des armes blanches. Ici, les effets spéciaux viennent apporter un réalisme irréel qui fait trembler le spectateur ; les batailles sont spectaculaires.
Hercule n’est certes pas un film original, on l’a dit. On y retrouve tous les éléments, tous les personnages qui ont fait le renouveau du genre depuis Gladiator, du groupe de mercenaires unis à la vie à la mort comme dans Le roi Arthur (Antoine Fuqua, 2004) et jusqu’à la jolie pin-up qui tire à l’arc, ici une princesse amazone, comme dans Narnia4 et Le roi Arthur encore. La relation entre Hercule et le petit-fils du roi et sa mère, la reine, vient de Gladiator. La trame du film est faite de toutes ces cellules narratives, sans recherche d’originalité, de façon un peu paresseuse. Hercule n’innove donc pas, sinon dans son rationalisme discret et, il faut le reconnaitre, dans une certaine vulgarité de potaches5 – le metteur en scène, Brett Ratner, relève de cette catégorie sociale malgré ses quarante ans passés.
C’est néanmoins un film qui remplit son contrat avec le spectateur, sans le prendre pour un imbécile ni se prendre au sérieux. Il ne mérite pas la condescendance que lui a témoignée la critique.
Stéphan Alamowitch
Film américain de Brett Ratner avec Dwayne Johnson, Ian McShane, Joseph Fiennes, Peter Mullan, John Hurt (1 h 38)
Notes
↑1 | Le monde des cinéphiles se composent probablement de deux groupes : ceux qui préfèrent les westerns, ceux (moins nombreux) qui préfèrent les péplums. |
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↑2 | Film assorti d’une bonne dose d’homophobie – bien vu quand on connait les mœurs grecques ! |
↑3 | On regrette de n’avoir pas vu Messaline impératrice et putain de Bruno Corbucci (1977). |
↑4 | Les films d’héroic fantasy et ceux tirés des oeuvres de Tolkien sont des avatars du genre péplum. |
↑5 | Le supplice du pal, au début, et la blague sur l’herbe à partager entre bons copains. |