Phoenix, lit-on, est tiré d’un roman français des années 80 qui n’a pas marqué la littérature, Le Retour des cendres, et qui devait être bien compliqué. Le film laisse perplexe : par son scénario, il est toujours à la limite de l’artificiel, avec parfois un je-ne-sais-quoi de théatre filmé, même s’il parvient quand même à émouvoir.
Berlin 1945
Dès les lendemains de la guerre, Nelly, une jeune juive allemande blessée au visage alors qu’elle fuyait le camp de concentration, change de visage précisément, par la grâce de la chirurgie esthétique – dont on ne savait pas qu’elle était si avancée à l’époque.
Elle rentre à Berlin et recherche son mari, qu’elle finit par retrouver serveur dans un cabaret. Il était pianiste et s’appelait Johnny ; il s’appelle désormais Johannes. C’est une crapule au physique avantageux, qui l’a probablement dénoncée à la police, en 1944, après l’avoir longtemps cachée. Il ne la reconnait pas, mais frappé par la ressemblance de silhouette, il la convainc de jouer le rôle de sa femme afin de pouvoir récupérer ce que celle-ci pouvait avoir de fortune. Nelly, jouée par Nina Hoss, accepte cette comédie et va jouer à être elle-même : Nelly, qui se fait appeler Esther, joue ainsi à devenir Nelly. Il finira par me reconnaitre, imagine-t-elle. Elle l’aime encore. Tout doit finir sur un quai de gare où elle est censée jouer au « retour des camps » devant un groupe d’amis d’autrefois venu l’attendre.
Nelly/Esther/Nina Hoss
Evidemment, avec un scénario de ce genre, l’artificiel n’est jamais loin, et la fiction y perd beaucoup en puissance. Les deux acteurs principaux, excellents dans Barbara le précédent film de Christian Petzold, sont ici moins bons, comme s’ils n’avaient d’autre solution que de mimer leur rôle au lieu de l’incarner. Les décors ont souvent des allures de … décors, notamment le cabaret où travaille le mari d’Esther. L’intrigue est trop « travaillée » pour permettre d’aborder finement la question de l’identité personnelle ou celle de l’Allemagne de 1945, les deux questions qui intéressent le metteur en scène. Peut-être aussi introduit-il trop de références cinématographiques au détriment de la puissance de narration (Franju, Fritz Lang, …). Il aurait fallu quelque chose de plus fin, de plus simple.
Et en même temps, Nelly/Esther/Nina Hoss est souvent si touchante que le film émeut, comme est touchante également Lene, cette amie juive, sioniste parce qu’il n’est plus possible de vivre en Allemagne, qui protège Esther, qui la fait opérer et qui veut la sauver. Elle ne la convaincra pas de partir en Israël : Nelly veut d’abord retrouver son mari et recommencer comme avant-guerre. Elle joue son rôle jusqu’au bout, jusqu’à la dernière scène.
L’émotion de la toute dernière séquence, quand le mari comprend ce qu’il en est et s’anéantit dans la honte, se ressentait dans la salle comme cela arrive rarement. Les yeux dessillés, Nelly peut alors quitter la scène.
Stéphan Alamowitch
Film allemand de Christian Petzold avec Nina Hoss, Ronald Zehrfeld, Nina Kunzendorf