Gais et contents
Nous marchions triomphants
En allant bien pensants,
Le cœur à l’aise.
Sans hésiter
Car nous allions fêter
Voir et complimenter
La philosophie française.
Je n’étais pas allé au défilé du 14 juillet depuis des années. Cette fois il était exceptionnel, car il réunissait, derrière la légion étrangère et les chasseurs alpins, toute l’armée de la philosophie française. Sur « La Plus Belle Avenue du Monde » ils étaient tous là. Menant le cortège, sur son cheval, tenant d’une main sa rapière et de l’autre saluant les dames d’un sourire gascon enjôleur, Michel avait fière allure. Il n’avait pas fait grand-chose de sa vie, et s’était même enfui de la ville dont il était maire quand y parut la peste. Mais il avait passé son temps à lire agréablement dans sa librairie, qu’il avait ornée de maximes latines, pour conclure qu’il ne savait rien et qu’on vivait dans une branloire pérenne. Derrière lui un autre cavalier parti d’un bon pas, René, avait l’air encore plus fier de lui que Michel. Car lui pouvait prétendre savoir. Il avait brodé sur son pourpoint un petit blason, sable et or, sur lequel était écrit Cogito. Ainsi il pouvait, à tout moment où il contemplait sa poitrine et y lisait son écusson, être certain non seulement d’exister, mais aussi du fait qu’il y avait un Dieu et un monde extérieur à lui. Il semblait pourtant se soucier essentiellement de lui-même, présentant fièrement son existence à la foule d’un air narquois.
Ceux qui suivaient marchaient à pied. Il y avait là Nicolas, en habit ecclésiastique, mais dont le visage était difficile à reconnaître car il portait ces curieuses lunettes de soleil carrées avec lesquelles on contemple les éclipses. Je crus d’abord qu’il se prenait pour une star et commettait le péché d’orgueil, mais mon voisin m’expliqua qu’avec ces lunettes il pouvait sans difficulté voir en Dieu et ne manquer aucune occasion. A côté de lui on reconnaissait Blaise à ses allures pâles et souffreteuses, et au fait qu’il tenait d’une main une bouteille de liqueur et un billet de loto de La française des jeux à la main. Il avait eu une chance au grattage, et il attendait le tirage. Derrière eux venait un personnage encore plus étonnant, Etienne, habillé en cariatide comme ces statues vivantes de rue auxquelles on donne une pièce. Il ne faisait pas un geste, car il était posé sur une petite voiture à bras, tirée par un gamin, mais il mouvait alternativement ses paupières, comme pour voir, ses oreilles, comme pour entendre, sa bouche, comme pour goûter, et ses mains comme pour toucher.
Derrière cette attelage, marchaient côte à côte, mais en semblant s’éviter, deux gentilshommes d’allure fort différente. L’un, François-Marie, était vêtu d’une veste de velours brodé aux boutons ornés, et portait perruque, alors que l’autre, Jean Jacques, était affublé d’un habit arménien et d‘une toque de fourrure dignes de l’accoutrement des hippies qui allaient à Katmandou vers 1970. Le premier jetait sur la foule un regard hautain et sarcastique, alors que l’autre prenait un air égaré de chien battu qui faisait pitié. Ils étaient suivis d’un Auguste en redingote noire à la triste figure – on eût dit Javert- curieusement accompagné de deux danseuses brésiliennes exubérantes et à demi nues qui lâchaient des ballons jaunes et verts sur lesquels étaient écrits les mots « Ordem e Progresso » ou « ciência e religião ». Venait encore un couple de messieurs en redingote, l’un barbichu, l’autre ventru, qui avaient de airs de comiques à la Laurel et Hardy, mais dont la carriole qui les suivait donnait l’état civil et la raison sociale: « Ernest et Hyppolite penseurs publics». Celui qui venait ensuite, Henri, était un frêle vieillard en costume, portant un col cassé et une lavallière à épingle, et il était coiffé d’un melon ridicule. Sa démarche était bizarre, tantôt ferme et décidée, tantôt zigzagante. Il se fiait à son intuition, qui le portait parfois à l’avant du cortège, et parfois lui faisait heurter le bord du trottoir avec ses bottines vernies. Il avait l’air absent, et ne s’éveilla que quand le cortège passa devant le 75 de l’Avenue, où est sise la Maison Ladurée, fabricant de macarons.
Le contraste ne pouvait être plus grand entre Henri et les trois personnages qui le suivaient sur le bitume. L’un, Emile, portait l’habit élimé du prof, et murmurait en permanence quelque Propos sentencieux pour l’éternité. Les deux autres étaient vêtus de vestes paysannes en velours côtelé. L’un, Gaston était reconnaissable à sa barbe blanche et à son allure de clochard, et l’autre Georges semblait un robuste vétérinaire de campagne. Au moins on ne pouvait pas leur reprocher de ramener leur science.
La foule se souleva de dégoût à la vue du personnage qui venait ensuite, Jean-Paul. Le regard torve, son pantalon tirebouchonné était couvert de ce qui semblait être du vomi mal séché, et il fumait une Boyard papier maïs qui pendait, à demi éteinte, à ses lippes. A la différence de René, s’il semblait exister, ce n’était que par le non-être qu’il tenait en laisse, le collier d’un chien sans chien au bout. A ses côtés, une femme enturbannée, dont le nom fut révélé quand le couple s’engouffra dans une Traction avant, et que l’on entendit Jean-Paul lancer : « En voiture, Simone !».
Les autres membres du cortège étaient également venus en auto. L’élégant Maurice semblait avant tout soucieux d’être perçu : il avait rejoint le cortège dans une grosse Pontiac, sans doute achetée à une époque où l’essence n’était pas un problème, à moins qu’elle ne roulât au Dasein, un carburant meilleur marché. Les autres passagers de la limousine semblaient au contraire rechercher l’anonymat. Un petit homme en costume croisé, Emmanuel, cachait son visage sous un feutre mou, et Jackie, le nez plongé dans quelque texte, ne cessait d’essuyer les banquettes avec son mouchoir, comme s’il ne voulait pas laisser de traces. Il n’en jetait pas moins partout un regard inquiet, attentif à ce qu’on le regarde.
Un étrange attelage fermait le cortège. C’était un wagon de tramway tiré par une vieille moto. La ligne du tramway était « Fuite » et sur les portes était écrit « désir ». Dedans était juché un homme malingre, habillé en Gilles de Watteau. Sur la moto un chauve en blouson de cuir, Michel, avait des allures de Batman carnassier, prêt à affronter tous les micros-pouvoirs, bien qu’il semblât, comme presque tous ceux qui le précédaient, se soucier surtout de lui-même.
La foule applaudissait poliment cette troupe hétéroclite, même si elle ne reconnaissait pas très bien les régiments, et encore moins les bataillons auxquels appartenaient ces penseurs célèbres, qui allèrent s’égayer place de la Concorde. Mais quand, après un assez long intervalle, une autre troupe, qui s’était tenue un peu en arrière dans le défilé, déboucha sur l’avenue à hauteur du Rond-Point des Champs Elysées, elle reçut un triomphe. Ils ne défilaient pas à la queue leu-leu, comme le groupe précédent, mais formaient une grappe humaine sur un char fleuri de carnaval, et se tenaient agrippés non pas à un roi Carnaval, mais à une Reine. J’hésitai un instant en croyant reconnaître la Moria, la folie, du vieil Erasme, mais c’était bien Elle, la Reine Dullness, dans la Dunciade de Pope :
Still her old empire to restore she tries,
For, born a Goddess, Dulness never dies.
On reconnaissait immédiatement les protagonistes, à la différence des précédents. Car on les avait vus sur toutes les lucarnes, et on lisait une interview d’eux dans tous les magazines quasiment chaque semaine, ou dans les gratuits distribués au sortir des bouches de métro. Ils étaient au sommaire de toutes les revues, sur tous les sites web, et les librairies au rayon « philo » ne contenaient que leurs livres et leurs coffrets de conférences en CD, ils étaient de tous les festivals et de toutes les Nuits de philosophie. On voyait là, entre autres, dans cette grappe intellectuelle en char, bras dessus bras dessous comme à une manif post- soixante-huitarde: Luc, élégant défenseur de la famille et de la propriété privée, Michel, rebelle attitré levant ses troupes anti-vendéennes hors du bocage, Alain, colérique thuriféraire de la culture et des humanités sur les Ondes, André, aimable dispensateur de sagesse épicurienne, Bernard Henri, dandy affairiste des Grandes Causes dans les salons, et Régis, bougon médiologue néo-augustéen regrettant ses palais dans la Jungle. Mais c’est encore plus l’autre Alain, vieux chef du parti des Idées, qui était applaudi à tout rompre : qui n’a pas un jour rêvé d’être le Roi des Gardiens de la Cité de Platon et de celle de Mao à la fois ?
Aux basques de la Déesse Dunce s’accrochaient d’autres palotins. Bruno semblait, tel un dieu indien multi-bras, multiplier les modes d’existence, se produisant sur toutes les scènes, et confondant, tel Protagoras, ses paraîtres avec des êtres. Régis bougonnait face à la Déesse, Barbara lui souriait, Jean Luc attendait ses dons. Je ne parvenais pas à déceler les autres, tant ils étaient nombreux aux basques de la Dunce.
Me voyant maugréer sur le bord du trottoir, un quidam me demanda : « Pourquoi cachez-vous votre plaisir ? La philosophie française n’est-elle pas partout ? Ne chante-t-on pas sa gloire sur tous les continents? Les medias ne cessent de l’affirmer : les penseurs français « s’arrachent » à l’étranger, et la fascination pour la philosophie française, en dépit de la disparition de ses grandes figures du siècle dernier– Sartre, Merleau-Ponty, Foucault, Deleuze, Derrida, Levinas Levi-Strauss, Ricoeur– ne faiblit pas. Certes nos philosophes vivants n’obtiennent pas encore le prix Nobel, comme jadis Bergson ou Sartre, mais leurs successeurs reçoivent récompense sur récompense. Leurs disciples créent à leur tour des écoles dont l’écho est mondial. Des dizaines de « Centre Michel Foucault», de « Ricoeur Studies », de Derridéologie et de Deleuzoologie s’ouvrent de par le monde, accompagnés de prolifiques sites web, de blogs et de communautés sur les réseaux sociaux. Les recherches sur la tradition dont ils sont issus suscitent moult projets, programmes, bourses d’études et séries d’événements colloquants dont sortiront bientôt, à n’en pas douter, de nouveaux coups de sonde permettant de comprendre comment ces pensées ont pu s’inscrire dans une tradition qui va de Descartes, Malebranche, Condillac, Comte, Bergson à l’existentialisme et au post-structuralisme de jadis et au « réalisme spéculatif » d’aujourd’hui. La philosophie est partout. Elle a même ses ministres (en dix ans, pas moins de deux). Elle fleurit et prospère. Ne seriez-vous pas tout simplement jaloux ? Que lui reprochez-vous donc ? »
« Parlons-en, justement, lui- dis-je. La France peut certes se vanter d’avoir maintenu un certain type de penseur qu’on appelle « philosophe », et dont la tradition remonte à Voltaire, Rousseau et Diderot. Comme ceux-ci le « philosophe » s’exprime dans les gazettes, comme ceux-ci il est autant écrivain que penseur, et il prétend s’adresser à des publics toujours plus vastes. Tout serait à mon goût si nos penseurs d’aujourd’hui se référaient, comme les philosophes des Lumières, à des valeurs universelles, telles que la vérité et la connaissance. Mais ils les refusent depuis longtemps. Ils ont en haine l’intellectuel généraliste à message dont Sartre fut peut-être le dernier représentant. Ils sont presque unanimement relativistes. Ils pensent que la vérité ne peut être que relative à une langue, à un système de pensée. Ils croient même que les philosophies ne peuvent s’exprimer que dans une seule langue, et comme Heidegger ils pensent que la seule vraie langue philosophique est l’allemand, et que si l’on pense dans une l’autre langue nos concepts d’origine sont « intraduisibles ». Ils refusent des notions comme celle de vérité et d’objectivité. Selon eux, « vrai » signifie toujours « vrai pour X », « vrai par rapport à Y », et ils vénèrent Protagoras. Quand on leur fait valoir que le relativisme est contradictoire (« le relativisme est vrai pour moi ») ou trivial ( « vrai pour X » ne signifie rien d’autre que le fait que X croit telle proposition), ils ont une parade toute trouvée : ils ne sont pas relativistes, mais pluralistes. Ils admettent l’universel, mais celui-ci doit être « local ». Toutes les opinions ne se valent pas, mais il faut respecter toutes les opinions. L’objectivité scientifique est toujours le produit d’une construction, et la réalité est relative aux conditions sociales, techniques, politiques de la science. Si on leur objecte que cela conduit tout droit à une forme d’idéalisme, ils répondent qu’ils défendent au contraire un pluralisme ontologique qui distingue « des modes d’existence » différents : mon moulin à café n’existe pas de la même manière qu’un quark, mon corps n’existe pas de la même manière que mon esprit, ma colère n’existe pas de la même manière que les tables et les chaises, et nos théories scientifiques ne sont pas vraies de la même manière que des romans, mais toutes ces choses existent chacune à leur manière. Du coup les quarks sont tout aussi construits que mon moulin à café. Le critère ultime (et en fait la définition) de la vérité c’est l’utilité, la manipulabilité. La connaissance, c’est l’action. Voilà pourquoi on vénère les doctrines pragmatistes, des auteurs comme William James et John Dewey : la réalité c’est ce que l’on fait. »
Le quidam, qui semblait fort au courant malgré son air un peu niais, me rétorqua : « Vous datez un peu, et vous caricaturez des pensées subtiles et fines, que le monde nous envie. Ce que vous décrivez là, c’est le post modernisme, la French Theory. Mais il est bel et bien mort. Nos penseurs les plus éminents ne sont plus des idéalistes, des relativistes et des constructivistes. Ils sont des réalistes. Et même des réalistes spéculatifs. Le réalisme spéculatif de Quentin Meillassoux et de ses disciples rejette le « corrélationnisme » selon lequel il y a un monde en soi qu’on ne peut connaître. Il n’y a, nous dit-il qu’une seule nécessité, celle de la contingence. Et toc ! »
Je lui répondis, de plus en plus agacé : « Je croirais entendre Boutroux, sur la contingence des lois de la nature. Mais c’est du pur idéalisme, même si cela se pare du nom de réalisme ! Je suis d’ailleurs frappé de la permanence des vieilles doctrines dans la philosophie française d’aujourd’hui. Outre l’idéalisme, on retrouve partout le volontarisme, l’idée que la réalité dépend de notre volonté et de notre action. De Descartes à Maine de Biran et à Bergson, de Brunschvicg à Bachelard, de Sartre à Deleuze, de Renouvier à Jean Luc Marion on retrouve cette thèse, souvent sur fond de vitalisme : le fond de l’être est vie. Nous créons, par nos actions et notre vouloir, une réalité qui est toute à nous, sur fond de chaos. C’est l’esprit tout puissant qui ordonne ce chaos. Un jeune philosophe ne décrit-il pas la philosophie française comme un art du renversement : le particulier contre le général, le chaos contre l’ordre, la différence contre l’identité, l’exception contre la règle, le multiple contre l’Un, etc. ? Mais une chose n’a pas disparu : le sens des dualismes grossiers. La French theory n’est pas morte, elle renaît sans cesse de ses cendres, même si on prétend à chaque saison que de de nouvelles pensées lui ont succédé : « nouveaux réalismes », « nouveaux philosophes », « néo-pragmatisme », etc. »
Lui, derechef : « Mais vous faites fi des thèses de Badiou ! Voilà un vrai réaliste, et un réaliste platonicien même. N’a-t-il pas replacé la métaphysique au centre du champ philosophique ? »
Je répliquai : « Le pythagorisme communiste ! L’événement qui est l’être même ! N’est-ce pas au fond très bergsonien ? Il n’y a que du mouvant, sur un pseudo fond d’être immobile. Mais quelles que soient les doctrines, on retrouve partout cette posture spéculative du philosophe qui décide de tout et se croit auto-suffisant, et surtout qui refuse de s’en tenir au concept, pour nous proposer l’intuition comme seul mode de connaissance. A cet égard, on a beau dénoncer Heidegger et son nazisme, l’attitude heideggerienne reste. Je ne vois rien à changer dans ce que disait déjà de la philosophie française Jean-François Revel dans Pourquoi des philosophes et La cabale des dévôts : « Il a fallu attendre Heidegger pour trouver un homme capable de mentionner ses opinions personnelles et momentanées comme des données n’offrant aucune différence de nature par rapport aux résultats de trois siècles et demi de physique et de biologie. Et cet homme n’est pas un Alfred Jarry ou un Artur Cravan – plût au ciel qu’il le fût ! mais le plus professoral des dissertateurs… La vieille thèse romantique allemande de l’impuissance de l’entendement, le mépris plus récent du « rationalisme » et du « scientisme » se trouvent sous la plume de philosophes qui s’expriment dans le langage de l’entendement et de la rationalité ; la confusion et l’égalisation de la pensée avec preuves et de la pensée sans preuves règnent dans les écrits dont les dehors sont ceux de la démonstration ». Revel visait ici, en 1962, Sartre et Heidegger, dont les thèses sont officiellement dépassées, depuis que Foucault et Deleuze sont devenus les maîtres officiels des deux générations suivantes, mais qui continue d’être révérés, parce que la manière française de philosopher est restée la même. On ne cite plus beaucoup Lacan, mais son ton hautain est resté derrière tous les discours de nos philosophes.»
Lui : « En matière de ton hautain, vous vous posez un peu là. Vous êtes un dogmatique bien pire que ceux que vous décrivez comme tels. Vous refusez d’ouvrir la philosophie. La grande avancée de notre époque est qu’elle est devenue à la portée de tout le monde.»
J’essayai alors de lui clouer le bec, car la farandole était passée, et sur les Champs Elysées défilaient à présent les hommes de la légion étrangère avec leurs marteaux nietzschéens.
« En effet, la philosophie est devenue « pour tous ». Je n’ai rien contre le fait de l’ouvrir, mais encore faudrait-il pouvoir de temps en temps la fermer. L’état de la philosophie française, dans laquelle les critères du journalisme prévalent – livres vite écrits, vite publiés, vite oubliés, l’absorption des livres de philosophie dans la catégorie essais voire dans celle du roman – est telle que son enseignement le plus classique, celui que donnaient les universités et le lycée, a quasiment disparu. Le philosophe médiatique n’est plus l’exception, mais la règle. On le voit bien dans l’obsession de nos contemporains pour les questions de la vie pratique et « ordinaire », de l’éthique. Mais celle-ci ne doit surtout pas se fonder sur des principes, des règles, ou des impératifs. Elle doit être toujours particulière, quotidienne, attentive aux situations, aux individus, aux cas. La casuistique a remplacé la morale ; le care et la sollicitude ont remplacé les devoirs. Tout comme déteste les règles, on déteste les professeurs, qui furent les maîtres de la République. Mais ce n’est sans doute pas nouveau. Comme le disait le grand sociologue Maurice Halbwachs : « L’organisation pédagogique nous apparaît comme plus hostile au changement, plus conservatrice et traditionnelle peut-être que l’église elle-même, parce qu’elle a pour fonction de transmettre aux générations nouvelles une culture qui plonge ses racines dans un passé éloigné…. les hommes de la Renaissance, par hostilité vis-à-vis de la scolastique, n’ont pas retenu de l’enseignement médiéval ce qui méritait d’en être conservé, le souci d’une forte culture logique, et ont ainsi frayé les voies à une culture purement littéraire, gréco-latine, qui cherche à former surtout des écrivains diserts, des maîtres d’éloquence, des causeurs mondains.» Mais même les causeurs en question ne sont plus gréco-latins. »
Mon quidam, dont je compris plus tard qu’il était de la DST (Division de la Surveillance Théorique) tourna les talons. Devant moi passaient les chars, dans des roulements de chenilles sur le bitume de l’Avenue.
Pascal Engel
A lire
Les Temps modernes , janvier mars 2015, N° 682 , « La philosophie française a-t-elle l’esprit de système ? »
Cités , « La philosophie en France aujourd’hui », 1, 2013 , N°4 N°56 et 2, 2014, 2, n° 58 , PUF .
Esprit, « Où en sont les philosophes ? », mars avril 2012