La voix d’un fils

C’était un jeudi de novembre. La direction de la radio avait envoyé deux journalistes, blêmes, lui annoncer que son fils était mort. Après l’émission du matin, il avait quitté le studio pour son bureau de rédacteur-en-chef, au 6ème étage, et il n’en était pas redescendu. On l’avait trouvé sur le sol, inconscient. Massage cardiaque, réanimation, les pompiers, l’hôpital…et le médecin qui constate le décès. Il avait 47 ans. Le mercredi suivant, il était enterré auprès de son père, dans la tombe qui aurait dû être la sienne, à elle. Tout l’hiver, elle avait revécu l’enterrement dans son ordre inéluctable : l’arrivée … Lire plus

Le vieux procureur

C’est l’heure où le vieux procureur est nu sur un tabouret en plastique, au milieu du bassin de douche. L’aide-soignante lui nettoie les bras et le dos. Les dimanches matins à la Fondation Pereire, on lave attentivement les résidents et on les habille avec soin. Les hommes sont rasés de près. Aux dames, on demande si elles veulent du maquillage, un peu de parfum. Les familles viennent l’après-midi, il faut les rassurer. Le pommeau de douche à la main, Malika élimine les traces de savon qui demeurent sur le torse décharné. Le temps de la répugnance était vite passé, plus … Lire plus

Francesca Woodman, récit

Il est difficile de recommander le petit ouvrage que donne Bertrand Schefer au sujet de Francesca Woodman, cette talentueuse photographe américaine disparue en janvier 1981, à 22 ans. Ce n’est pas une étude, ce n’est pas une biographie – et tout au plus peut-on y glaner quelques éléments de cette vie si courte. Ce serait une vraie évocation si le livre était plus précis, plus sérieux. Bertrand Schefer en reste malheureusement à des allusions à la vie de la photographe, à la sienne propre, et à la fascination qu’il éprouve pour elle et son œuvre. Le livre est le récit … Lire plus

La Femme de Tchaïkovski, film misogyne

Dans la situation où se retrouve aujourd’hui la culture russe, ravagée par les oppositions politiques, éclatée par les exils et les existences semi-clandestines de ses meilleurs représentants, il  est difficile de porter un jugement sur un confrère de malheur. Mille données parasites viennent troubler la vision. Il est donc très difficile de parler de Kirill Serenbrennikov, un metteur en scène qui a dû passer par un procès en Russie, être assigné à résidence, privé de sa compagnie théâtrale, voué à l’exil, et qui doit composer maintenant avec un autre public et probablement puiser dans d’autres sujets. Pourtant la condition de Kirill Serebrennikov ne peut être comparée à celle des autres artistes russes non-officiels, tolérés à contre-cœur par le régime de Poutine (comme Alexandre Sokourov), mais également ignorés maintenant de grandes manifestations internationales. Lire plus

Le retour au travail des mutilés de la Grande Guerre

Le 14 juillet 1919, la longue procession que constitue le « défilé de la Victoire » est ouverte par un contingent d’un millier de mutilés de guerre. Ces « gueules cassées », amputés, aveugles et estropiés, immortalisés par Jean Galtier-Boissière, ne représentent qu’un mince échantillon des soldats que le premier conflit mondial rend à la société française en état d’invalidité, à des degrés inégaux, tant les atteintes corporelles subies dans les tranchées sont diverses. Les mauvaises conditions d’hygiène favorisent la diffusion de la tuberculose quand l’exposition aux gaz offensifs entraîne des bronchites chroniques. La reconnaissance de ces maladies est plus tardive que celle des … Lire plus

Colette et le cinéma

Colette connaissait bien et aimait les milieux du théâtre et du music-hall. On sait moins qu’elle eut une relation privilégiée avec le cinéma qui naissait à l’époque de ses débuts en littérature, en 1900.  Vous racontez qu’elle aime sincèrement le cinéma, qu’elle ne méprise pas comme d’autres écrivains de son temps, mais aussi qu’elle participe à la « fabrication » des films et à leur promotion commerciale du temps du cinéma muet puis du cinéma parlant. Lire plus

À BAS LA PRESSE BOURGEOISE ! Deux siècles de critique anticapitaliste des médias. De 1836 à nos jours

L’ouvrage de Dominique Pinsolle, professeur d’histoire à l’Université de Bordeaux, consacré à ce qu’il appelle la « critique anticapitaliste » des médias, mérite la lecture pour plusieurs raisons. C’est tout d’abord une synthèse utile des grands travaux sur l’histoire de la presse française, qui fait fonds sur les ouvrages de Jean-Yves Mollier et de Marc Martin, entre beaucoup d’autres (tous dûment cités en bibliographie), pour donner en deux cents pages ce qu’ont été les grandes étapes économiques et politiques du secteur. Lire plus

Béatrice, la femme-homard

La soirée du réveillon s’était bien passée, sauf pour Béatrice, la femme-homard qu’on n’avait pu se résoudre à consommer. Ma grand-mère l’avait trouvée au marché, trois années auparavant. Intriguée par sa forme vaguement humaine, enfantine, elle l’avait épargnée. Une anomalie avait dû lui donner un semblant de peau ; la génétique a ses mystères. Au bout de quelques jours, oubliée dans le bac du frigidaire, Béatrice s’était mise à ressembler à une petite fille, à cela près qu’elle avait une queue de homard et que sous la peau, on devinait la forme d’une carapace. Béatrice avait peu de cheveux, mais Grand-Mère … Lire plus

La concentration dans le monde du livre

C’est un livre bref mais touffu que publie Jean-Yves Mollier, l’historien bien connu de la Presse et de l’Edition. La concentration en cours dans le monde du livre, et l’on pense au rapprochement chaotique d’Editis et du groupe Hachette, choque à très juste titre aujourd’hui, mais elle fait oublier que la concentration n’est pas un phénomène nouveau dans ce secteur industriel. Depuis la fin du XIXème siècle, les maisons d’édition se rapprochent les unes des autres, s’absorbent, dans des processus de concentration horizontale (on rachète son concurrent) ou de concentration verticale (on rachète une société de distribution, un réseau de … Lire plus

Retour à Séoul

C’est un film attachant que donne Davy Chou avec ce Retour à Séoul, présenté à Cannes en mai dernier et sorti mercredi 27 janvier.

Une jeune fille d’origine coréenne, adoptée à la naissance par un couple français, se trouve, presque de façon fortuite, à passer deux semaines à Séoul. Elle en profite pour découvrir une vie coréenne à laquelle elle n’est pas préparée. La différence des cultures, des mœurs donne des scènes très heureuses, parfois drôles, par exemple quand grisée par l’alcool coréen, elle transforme un simple diner dans un restaurant en grande discussion avec tous les jeunes clients du lieu. Elle en profite surtout pour tenter de retrouver ses parents biologiques grâce au centre qui s’était occupé de son adoption. Le film, dans ce qu’il a de meilleur, est construit sur cette recherche, et les rencontres avec le père et sa famille, puis bien plus tard avec la mère sont fines et touchantes, jamais attendues. Lire plus