Le pèse-personne

Son médecin généraliste avait regardé ses analyses avec circonspection. Il le fit monter sur la balance. Une sorte de machine archaïque et grinçante en métal blanc, à la peinture écaillée. — Tu as pris un peu de poids, dis-donc. Six kilos depuis la dernière fois ! Lucas et son médecin se tutoyaient depuis une dizaine d’années. Le docteur Dubois, soixante-sept ans, avait vu les enfants grandir et partir de la maison. Il avait aussi suivi ses allergies au pollen, sa dépression pendant la crise de milieu de vie qu’ils avaient partagée, hors de toute déontologie. Lucas, avocat de profession, avait … Lire plus

La pharmacie en héritage

De ma mère, il faut le dire, j’ai hérité le goût des médicaments et de l’automédication, goût qu’on lui a souvent reproché mais qui n’a été pour rien dans son décès. Je suis son exemple : elle ouvrait la pharmacie toujours remplie en échantillons que mon père médecin recevait des laboratoires et examinait les notices ; elle vérifiait l’organe visé, puis sans rien demander, et surtout pas à son mari, elle avalait le nombre de comprimés indiqués, parfois plus. Le prétexte, c’était de se fortifier ou de prévenir une maladie. Sous son lit, de temps en temps, on trouvait des … Lire plus

Le retour de Francesco Jovine

Francesco Jovine avait disparu des lettres italo-françaises depuis vingt-cinq ans quand deux de mes étudiants, Coralie Gourdange et Piotr Verrezen, l’avaient remis à l’honneur en 2019 en publiant Les beaux rêves de Michele dans la revue Europe, traduction d’une de ses nouvelles tirée du recueil Ladro di galline (Voleur de poules), inédit en français. Sa dernière traduction remontait à l’an 1994 quand Fayard faisait paraître La maison des trois veuves. Sous ce titre était ainsi publié un recueil de nouvelles dans lequel l’auteur portait un regard enfin critique sur le fascisme qui, à ses débuts (ceux du fascisme et ceux du Jovine écrivain), ne l’avait pas laissé indifférent ou, dirait-on mieux, l’avait quelque peu intrigué. Lire plus

Je vous présente Brunet, un chat, et Imprenable, une souris

– Tu as pris Brunet ? avait demandé Riri, au moment de monter dans la voiture, à la domestique qui s’était installée dans le deuxième véhicule au milieu d’un amas de boîtes jaunes.

– Oui, avait répondu la domestique sans avoir bien compris la question, occupée comme elle l’était à se faufiler parmi tous ces bagages.

Les automobiles cessèrent tout à coup de pétarader et, après avoir bourdonné quelques secondes, elles démarrèrent.

Mademoiselle Riri s’était mariée ce jour-là et elle quittait l’agréable village de Raperonzoli, où elle était née, pour se rendre à Rome en compagnie de son jeune époux. Lire plus

Le temps qui dessaisit la justice – A propos de l’Eloge de la prescription de Marie Dosé

Le petit livre que vient de publier Marie Dosé, Eloge de la prescription, ne surprendra pas. Cette avocate pénaliste bien connue conteste le recul de la prescription et son discrédit public, faits marquants d’une évolution de la justice pénale en direction des victimes, longtemps reléguées aux marges des procédures et qui en deviennent le centre. On le sait, dans la procédure pénale contemporaine, la prescription est contestée en ce qu’elle offrirait aux auteurs de crimes et délits une échappatoire trop commode, et priverait les victimes d’un accès au tribunal qu’on ne saurait leur retirer. Lire plus

Gombrowicz ? Lire et relire

Le recueil Le Sain Esprit de contradiction n’est pas des plus faciles à caractériser, pas plus que ne l’est son auteur, Witold Gombrowicz. Une bonne partie de ses 29 sections est reprise des deux volumes de Varia publiés chez le même éditeur en 1978 et 1989 et qui ne sont apparemment plus disponibles à son catalogue. Le reste était paru dans divers périodiques ou demeurait inédit en français. Il ne s’agit pas d’une introduction à Gombrowicz : son théâtre est à peine évoqué, et de sa production romanesque de l’après-guerre, seul l’est Trans-Atlantique (1953), dont la pré-publication avait tant scandalisé les … Lire plus

Comment la gauche a perdu la raison

Jules Adler

L’évolution politique et intellectuelle (mais à gauche les deux sont souvent liées) d’une partie non négligeable de la gauche ne cesse de poser question. En effet, on n’est plus en présence d’idées qui peuvent être contestables mais qui sont assises sur un corpus doctrinal solide (comme l’était le marxisme) mais le plus souvent d’élucubrations pseudo-savantes, avec parfois des emprunts à des courants racialistes qui étaient, jusque-là, l’apanage de l’extrême droite.

Renaud Dély nous décrit tous les symptômes de cette dérive, et il le fait en homme de gauche mais en homme de gauche qui n’a pas renoncé à l’idée de progrès. Car c’est là la thèse de l’auteur : la gauche a renoncé à son héritage des lumières, elle a tourné le dos au progrès et à l’universalisme.


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Volodymyr Rafeyenko – Les Sept Ukropes

Pavel aimait son beau-père. Il l’avait toujours considéré comme son père. Matveï Ivanovitch était un homme solide, posé. Il faisait lui-même tous les petits travaux nécessaires dans la maison. Son arrivée dans la famille de Nina Ivanovna avait été une bénédiction du ciel. Elle n’aurait jamais pu, bien évidemment, subvenir toute seule aux besoins de son fils. Après la mort de son père, le grand-père de Pavel, qui les avait toujours aidés avec de l’argent ou des vivres, elle fut un temps au désespoir. Elle avait deux boulots, mais manquait toujours d’argent. Or Pachka, enfant, était maladif, il avait besoin d’être correctement nourri. Surgi des ténèbres de la mine, Matveï se prit d’affection pour le gamin et sut conquérir son cœur.

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« Les Murs Blancs » – Réflexions sur un courant de pensée disparu

Etrange livre en vérité que ces « Murs Blancs » ! On peut d’abord ne retenir de ce récit que la fascinante relation d’une tentative de vie commune (toute relative d’ailleurs) d’une poignée d’intellectuels réunis autour d’Emmanuel Mounier pour créer un lieu de vie personnaliste. Les auteurs, année après année, nous relatent les hauts et les bas de ce fameux bâtiment, les grands moments qui débordent ce seul cadre local et irriguent la vie intellectuelle du pays, mais aussi les problèmes quotidiens, les inimitiés qui ponctuèrent aussi la vie aux Murs Blancs. Le miracle, si l’on peut dire, est, que malgré des relations … Lire plus

Comment voir le dernier Woody Allen ?

Rifkin’s Festival ne se laisse ranger ni parmi les grands Woody Allen,  ni parmi les petits Woody Allen, dans cet exercice annuel de répartition que permet une filmographie abondante et inégale. Rifkin’s Festival est une dernière révérence qui signale la fin d’une carrière, et une fin qui laisse transparaitre la fatigue et l’amertume. Ce film tourné avant la pandémie n’est pas officiellement le dernier du cinéaste, puisque on annonce un nouveau film tourné cette fois à Paris, mais il est difficile d’imaginer ce que Woody Allen pourrait encore donner. Woody Allen s’est choisi en Wallace Shawn, l’acteur qui joue le rôle de Mort Rifkin qu’il se serait attribué autrefois mais que l’âge ne lui permet plus de tenir, un alter ego commode – non qu’il lui ressemble mais ils partagent tous deux la même allure discrète et ce charme qui vient ou plutôt venait, c’est tout le film, de l’esprit et du brio verbal plus que du  physique. Cet alter ego, Mort Rifkin, suit sa femme, attachée de presse, au Festival de cinéma de San Sebastian où sa qualité de critique de cinéma reconnu lui vaut une certaine aura. Lire plus