David Oehlhoffen, Albert Camus et Loin des hommes

Loin des hommes, le film de David Oelhoffen qui sort  à Paris ce 15 janvier 2015, est remarquable.  Son point de départ est l’une des plus belles nouvelles d’Albert Camus,  L’Hôte, mais il ne s’agit pas pour autant d’une adaptation. Ce serait plutôt une nouvelle ébauche d’une histoire pour laquelle le romancier avait d’ailleurs imaginé plusieurs dénouements –  soit pour le cinéaste, comme une invitation à transformer la substance du récit pour l’écran.1V. Camus, Œuvres complètes, éd. Jacqueline Lévi-Valensi, t. iv, 1349 :  «D’ailleurs pour L’Hôte, on peut changer la fin et l’Arabe peut se diriger vers l’est au lieu de … … Lire plus

Amérique latine : vivre après une dictature

Une dictature est toujours un évènement traumatique pour les individus et pour les sociétés. Plus ou moins meurtrière, une dictature repose toujours sur la contrainte, la peur et la douleur quelle soit morale ou physique, infligée, endurée ou redoutée. De plus, fonctionnant selon le principe de l’imposition, contrairement à la démocratie dont le principe fondamental est le libre choix, une dictature s’émancipe de tout contrôle citoyen et peut verser sans frein dans la corruption et l’incurie économique. Lire plus

La fascination de l’ordinaire (φ)

Quand j’étais enfant, je ne connaissais pas les eaux minérales gazeuses. Mais on buvait néanmoins à la maison de l’eau gazeuse, qu’on obtenait en ajoutant à l’eau du robinet une poudre blanche, nommée « O’ Bulle », dans des bouteilles à bouchon mécanique à joint en caoutchouc. Ce n’était pas très bon, mais c’était meilleur que l’eau ordinaire du robinet, que l’on appelait « l’eau dinaire ». C’est ainsi que je fus mis en contact aquatique avec le concept d’ordinarité. Pendant longtemps, je crus les choses ordinaires plus méprisables que les extraordinaires.  Je n’aurais jamais lu Poe s’il avait écrit des Histoires ordinaires, Jules … Lire plus

États-Unis : la ruée vers l’or noir

Au vu de tous les débats sur le dérèglement climatique, le pic pétrolier, le désinvestissement des énergies fossiles et les énergies renouvelables, on serait en droit d’attendre que la consommation pétrolière aux États-Unis suive une pente descendante.En réalité, c’est tout le contraire. La consommation pétrolière suit une trajectoire ascendante, avec une hausse de  400 000 barils par jour rien qu’en 2013 — et, si cette tendance se maintient, elle devrait encore augmenter en 2014 et en 2015. En d’autres termes, le pétrole est  de retour. En force. Les signes de résurgence abondent. Malgré ce que pensent certains, les Américains parcourent en moyenne plus de kilomètres sur les routes, s’arrêtent davantage à la pompe et ils ont de … Lire plus

Anna, Ida et Wanda en Pologne (Ida de Pawel Pawlikowski)

Ida, ce film du cinéaste polonais Pawlikowski sorti au printemps, nous a paru si intéressant sur le plan cinématographique et sur le plan de l’histoire politique et culturelle polonaise que nous avons  demandé à la meilleure spécialiste de Pawlikowski, Joanna Rydzewska, de le mettre en perspective. Son article fait bien voir que l’histoire, la culture de cette partie orientale de l’Europe, les sensibilités politiques qu’on peut y repérer appellent réflexion. Ndlr Dans un récent entretien, Pawel Pawlikowski déclarait : « Je ne fais pas de films commerciaux pour les masses […] Ida, c’était une sorte de suicide commercial : un film en polonais, … Lire plus

Back in the USSR ou retour à l’Empire russe ?

Dans un petit livre paru en décembre 1993, « La fin de l’URSS et la crise d’identité russe », je m’étais efforcée de montrer quel traumatisme avait représenté pour la grande masse de la population soviétique la sortie de l’URSS. Si la chute brutale du niveau de vie de l’époque n’est plus autant d’actualité en Russie, demeure l’humiliation d’avoir désormais un territoire amputé des quatorze anciennes républiques socialistes soviétiques. Lire plus

D’une guerre l’autre les privés dans le roman noir américain selon Donald E. Westlake (1)

« The hardboiled dicks » ou « les privés durs à cuire ». Le terme hardboiled, qu’on emploie pour parler d’une personne insensible, est apparu dans l’argot de la Première Guerre mondiale. Il a commencé par désigner les sergents responsables des parcours du combattant qui passaient les civils à la moulinette pour en faire des citoyens-soldats. L’argot créé en temps de guerre a tendance à suivre les soldats lorsqu’ils sont de retour chez eux et à survivre à la fin des combats. Le dur à cuire est devenu n’importe quelle personne qui ne montre pas de sympathie particulière pour vos problèmes. Le terme … Lire plus

Comment et pourquoi réussissent les immigrés, le débat américain

Les débats sur l’immigration et sur le sort des minorités ethniques sont souvent aux États‑Unis plus vifs et plus intéressants que ceux que nous avons en France. Les situations sont, malgré des différences évidentes qui viennent de l’histoire et de la géographie, beaucoup plus proches qu’on ne le pense, et l’on s’épargnerait des échanges stériles et oiseux, dont le dernier numéro du Débat illustre bien les rhétoriques obligées (avec ces échanges si prévisibles autour du livre d’Alain Finkielkraut, notre Thilo Sarrazin, « L’identité malheureuse », et autour des thèses de la démographe Michèle Tribalat), si l’on prenait tout à la fois, comme aux États‑Unis sur ces questions, le parti de la vérification empirique, de l’analyse historique et de la liberté de propos. Lire plus

Comment se créent les nations ? Dilemmes israéliens

Le jeune philosophe israélien Omri Boehm nous avait donné un article sur le sacrifice d’Abraham et sa dimension politique, paru dans le numéro précédent de Contreligne. Il commente pour nous l’ouvrage récemment paru aux États‑Unis « My Promised Land : The Triumph and Tragedy of Israel » de l’israélien Ari Shavit. L’ouvrage donne bien la mesure et l’intensité des dilemmes que connaissent nombre d’israéliens quand ils examinent le passé encore proche de leur pays et l’avenir trouble du Proche-Orient. On ne crée pas une nation impunément, disent certains. Constat trop commode, disent d’autres. Peu de nations ont cette exigence de lucidité intellectuelle, noterons-nous. Lire plus

Syndicats français et développement durable : mariage d’amour ou mariage de raison ?

Développement durable et syndicalisme entretiennent des relations ambiguës, parfois même conflictuelles. D’un côté de la ligne se trouvent les syndicats, corps intermédiaires issus du XIXe siècle et renforcés par le compromis fordiste et productiviste du XXe siècle. De l’autre côté du curseur, se place le développement durable, idée récente forgée en 1992, qui tente de sauvegarder la planète et le futur des nouvelles générations en rompant avec l’idéologie de l’infinitude des ressources. Dans ce contexte, les syndicats ont opéré un véritable aggiornamento, plus ou moins rapide selon les organisations, par rapport au développement durable permettant de faire naitre trois grandes familles de syndicalisme face à cet enjeu global : « les premiers croyants », « les nouveaux convertis », et les « réfractaires ». Lire plus