Titina ou l’Arctique au temps des Soviets

En février 2023, lors des vacances scolaires d’hiver, parents et grands-parents auront remarqué la sortie sur les écrans français du film d’animation « Titina » de la réalisatrice norvégienne Kajsa NÆSS. Contrairement à ce que pourrait laisser supposer ce nom enfantin qui est celui d’un petit chien, ce film relate une « extraordinaire aventure polaire » qui a vraiment eu lieu. Il s’agit de l’épopée du Norvégien Amundsen, considéré comme le plus grand explorateur polaire du monde et de l’Italien Umberto Nobile, ingénieur aéronautique et  grand voyageur lui aussi. Leur voyage en mai 1926 à bord du dirigeable Norge, conçu par Nobile, avec également à bord Titina, son fox-terrier blanc, constitue une date mémorable de la conquête du pôle Nord.

Lire plus

La Femme de Tchaïkovski, film misogyne

Dans la situation où se retrouve aujourd’hui la culture russe, ravagée par les oppositions politiques, éclatée par les exils et les existences semi-clandestines de ses meilleurs représentants, il  est difficile de porter un jugement sur un confrère de malheur. Mille données parasites viennent troubler la vision. Il est donc très difficile de parler de Kirill Serenbrennikov, un metteur en scène qui a dû passer par un procès en Russie, être assigné à résidence, privé de sa compagnie théâtrale, voué à l’exil, et qui doit composer maintenant avec un autre public et probablement puiser dans d’autres sujets. Pourtant la condition de Kirill Serebrennikov ne peut être comparée à celle des autres artistes russes non-officiels, tolérés à contre-cœur par le régime de Poutine (comme Alexandre Sokourov), mais également ignorés maintenant de grandes manifestations internationales. Lire plus

Le retour au travail des mutilés de la Grande Guerre

Le 14 juillet 1919, la longue procession que constitue le « défilé de la Victoire » est ouverte par un contingent d’un millier de mutilés de guerre. Ces « gueules cassées », amputés, aveugles et estropiés, immortalisés par Jean Galtier-Boissière, ne représentent qu’un mince échantillon des soldats que le premier conflit mondial rend à la société française en état d’invalidité, à des degrés inégaux, tant les atteintes corporelles subies dans les tranchées sont diverses. Les mauvaises conditions d’hygiène favorisent la diffusion de la tuberculose quand l’exposition aux gaz offensifs entraîne des bronchites chroniques. La reconnaissance de ces maladies est plus tardive que celle des … Lire plus

Emmanuel Macron et les classes absentes

On l’a dit, en 2017, la base sociale réunie par Emmanuel Macron fut pour l’essentiel composé de la bourgeoisie managériale, des classes moyennes du secteur privé et de jeunes gens de tous horizons séduits par son dynamisme et le pied de nez fait aux partis installés. Sa base sociale de 2022 est de même nature, sauf en ce qui concerne la jeunesse, attirée par des choix plus extrêmes. Cette base sociale resserrée lui a néanmoins permis d’arriver de nouveau au second tour des présidentielles, puis de profiter du rejet de Marine Le Pen pour gagner l’élection. Il faut beaucoup de mauvaise foi et de forfanterie Lire plus

François Furet à contretemps

Voici un quart de siècle que François Furet (1927-1997) a disparu. L’abécédaire que propose opportunément Deborah Furet vient réveiller nos mémoires assoupies. Furet fut l’un des grands intellectuels français de la seconde moitié du siècle dernier, inlassable analyste de son temps à la lumière d’une histoire politique dont il fut l’un des plus subtils connaisseurs. Il en connut lui-même les tourments dès les années sombres. Spectateur engagé à la manière d’un Raymond Aron dont l’action et la pensée le marquèrent, Furet, à la différence de ce dernier, fut communiste dans les années 1950 avant d’engager une critique sans concession de toutes les contractures idéologiques qui accablèrent de plus en plus la gauche à la fin du XXème siècle et dont elle pourrait bien périr aujourd’hui. Sa mort coïncida presque avec l’effondrement d’une famille politique qui naquit sur les fonts baptismaux de la Révolution française, dont Furet fut aussi l’un des grands experts.

Cette fonction critique tournée vers sa propre sensibilité lui valut d’innombrables adversaires, à gauche, qui firent de lui l’un des responsables des « dérives libérales » dénoncées aujourd’hui par la « gauche radicale ». Lire plus

Lydia TÁR

Le film de Todd Field, TÁR, n’a pas laissé la critique indifférente dans les pays où il est sorti. C’est le film du moment qui fait parler de lui. Qu’il soit encensé ou décrié, il y a consensus sur le fait que Cate Blanchett est magistrale, impériale et que sa performance saisissante est le résultat d’un investissement rare, puisqu’elle a appris l’allemand et s’est remise au piano pour être à la hauteur de rôle. Son talent est salué partout sans réserve aucune et la positionne déjà comme favorite pour le prochain Oscar de la meilleure actrice. Quant au scénariste-réalisateur Todd … Lire plus

À la recherche d’un continent perdu : les mélodies de Massenet

Qui pouvait se vanter de bien connaître les mélodies de Massenet ? Comme le souligne Jacques Hétu, maître d’œuvre de cette première intégrale, dans les Prolégomènes du livret accompagnateur, elles sont la partie la plus méconnue de sa production. Absentes des concerts, délaissées par les musicologues, objets de jugements aussi expéditifs que méprisants de la part de la critique – quand elle daignait s’y intéresser –, et boudées par les stars du chant, elles n’avaient fait que de furtives apparitions au disque. On n’en conserve pas des souvenirs moins précieux de ceux du baryton suisse Bernard Kruysen (magnifiquement accompagné par Noël … Lire plus

Les trois bourdes de la géopolitique allemande

Il est tentant de noter que durant les 120 années qui viennent de s’écouler, l’Allemagne aura commis trois énormes bourdes de géopolitique qui ont causé un préjudice considérable à l’Europe, avec la guerre pour conclusion logique : le pangermanisme qui fait croire aux élites allemandes qu’elles pourront constituer un empire qui dominera l’Europe ; le nazisme qui leur fait croire qu’un empire fondé sur la race pourra dominer le monde ; tout dernièrement, un goût de la paix et de la prospérité qui leur fait sacrifier toute puissance militaire, et une politique de coopération énergétique avec la Russie qui fait oublier que … Lire plus

Effacer la Russie – entretien avec Volodymyr Rafeyenko

Le romancier ukrainien et professeur de philologie russe Volodymyr Rafeyenko (Vladimir Rafeenko en russe) est né à Donetsk en 1969. Il doit se réfugier dans un village à l’extérieur de Kiev lorsque les séparatistes soutenus par le Kremlin amène la guerre dans le Donbass. Il a depuis écrit un roman en russe sur le grotesque de la guerre, dont il a extrait une nouvelle que nous publions ici. Son dernier roman est écrit en ukrainien. Professeur d’histoire de l’Europe de l’Est à l’Université de Yale, Marci Shore et lui ont entretenu une correspondance en mars et avril dernier qui nous conduit à ce terrible traumatisme que subit l’Ukraine et avec elle, ses artistes, et à l’ébranlement moral qui s’ensuit. Lire plus

Ingeborg Bachmann en sept questions

C’est peut-être en France qu’Ingeborg Bachmann est le moins connue. L’Italie la considère comme une écrivaine nationale, comme nous Paul Celan. Pourquoi cette reconnaissance défaillante en France ? Les raisons sont multiples, complexes et en partie irrationnelles. Bachmann tenta pourtant plusieurs fois de s’installer à Paris, mais ne s’y sentit jamais accueillie, jamais chez elle. Après la Seconde Guerre mondiale, la France accueillait plus volontiers les réfugiés, comme Paul Celan, ou les Juifs persécutés, que les enfants de bourreaux… Lire plus